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Écoféminisme : effet de mode, changement de paradigme ?
dimanche 9 octobre 2022, par
Magali Trelohan, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
À mi-chemin entre l’écologie et le féminisme, le courant écoféministe identifie deux formes de domination interconnectées : le capitalisme et le patriarcat.
Le capitalisme exerce une forme de domination sur la nature – en exploitant les ressources naturelles. Le patriarcat exerce une forme de domination sur les femmes. L’écoféminisme affirme que ces dominations n’en sont qu’une : la nature comme les femmes sont dominées par le patriarcat et le capitalisme, deux concepts interreliés – la domination des hommes s’étant exercée par la domination du capital sur les sociétés humaines.
Les dominées du « capitalisme patriarcal » sont donc la nature elle-même et, parmi les humains, des dominé·e·s de classe (le prolétariat) et de sexe (féminin).
Dans son ouvrage fondateur Le Féminisme ou la mort, Françoise d’Eaubonne, pionnière de la réflexion écoféminisme, évacue la capacité du socialisme à faire mieux que le capitalisme en matière d’écologie. Elle stipule que la fin du patriarcat constitue la clé et la seule solution pour un avènement de l’écologie.
Dans les États-Unis des années 1980
Le mouvement écoféministe s’est organisé dans les années 1980 aux États-Unis, en Angleterre et en Inde. Aux États-Unis, 2 000 femmes ont ainsi encerclé le Pentagone après l’élection de Ronald Reagan en 1980, dans un contexte de guerre froide, pour dénoncer à la fois la guerre, la pauvreté, les risques du nucléaire sur l’environnement et l’oppression des femmes.
Dans la même décennie, en Inde, des femmes s’opposent à la construction de barrages gigantesques qui risqueraient de déséquilibrer de manière dramatique et irréversible les écosystèmes, engendrant l’exode de millions de paysans pauvres.
Même si celles-ci ne se réclament pas de l’écoféminisme, leurs actions y ont été rattachées car elles portaient à la fois un combat pour la protection des espaces naturels, un combat social pour les femmes et un combat contre le capitalisme. C’est aussi le cas du mouvement Chipko dont les actions, comme celle d’enlacer des arbres pour lutter contre la déforestation, sont principalement non-violentes. Vandana Shiva sera la figure émergente de cet écoféminisme en Inde.
Une nouvelle lecture des rapports de domination
En reliant nature et femme par le point commun de la domination, l’écoféminisme ouvre alors une nouvelle lecture des rapports de domination, en cassant ses silos habituels – domination de classe, domination de la culture sur la nature, domination de sexe.
Alors qu’il peut être perçu comme essentialiste, ses théoriciennes – comme Maria Mies et Vandana Shiva – l’inscrivent pour beaucoup dans la continuité du féminisme matérialiste.
L’essentialisme consiste à expliquer les rôles, les comportements et les choix des hommes et des femmes dans la société par des caractéristiques biologiques, innées. Les hommes et les femmes seraient de nature différente et donc les femmes seraient naturellement plus douces, plus tournées vers le soin aux autres, vers le foyer et la nature. Les hommes quant à eux seraient plus tournés vers l’extérieur du foyer, donc la vie sociale, ils seraient naturellement plus compétiteurs ou bagarreurs, plus intéressés par la technique et les sciences.
Le féminisme matérialiste s’oppose à cette vision, démontrant que les différences entre femmes et hommes sont construites socialement. Le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe, 1949) en pose les prémices.
Comme l’explique Elizabeth Carlassare, chercheuse et écrivaine, il est toutefois difficile de donner une définition unique de l’écoféminisme tant les contributions sont variées.
Elles se relient, finalement, davantage dans ce qu’elles condamnent (les dominations) et ce qu’elles font (des actions concrètes pour plus de paix) que dans la façon dont elles se pensent qui fait l’objet de débats.
L’apport de l’écoféminisme
L’écoféminisme promeut des valeurs comme la paix, la solidarité, le respect (de soi, des autres, de la nature), la sororité (la solidarité entre femmes) ou l’adelphité (sororité entre toutes et tous, femmes et hommes) qui étendent la fraternité à tout le monde.
Il porte un message de reconnexion à la nature, de sa protection mais aussi de protection des intérêts collectifs des êtres humains et surtout de celles et ceux qui sont dominés. En cela, il regroupe différents combats dans une approche systémique qui interrelie les organisations (politiques, économiques, sociales, naturelles) et les équilibres et déséquilibres qui en découlent.
Ses messages couvrent tous les champs de notre société : travail, santé, science, technologie, social, économie, migrations, sécurité, éducation, agriculture ou justice.
L’écoféminisme peut-il peser en France et dans le monde ?
Pour la primaire écologiste de 2021, Sandrine Rousseau a imposé dans le débat public l’écoféminisme et une vision radicale de l’engagement écologique et féministe qui bruisse depuis plusieurs années.
Les militantes Greta Thunberg ou Camille Étienne affirment par exemple leur radicalité dans leurs engagements écologiques en arguant de la nécessité de cette radicalité au vu de la situation actuelle.
Mais comment se traduit le mouvement écoféministe aujourd’hui ? Un écueil serait de voir dans toute femme qui agit pour l’environnement une écoféministe. Les femmes témoignent certes de valeurs et d’attitudes plus pro-environnementales mais leurs transcriptions dans l’action ne sont pas nécessairement écoféministes.
Ainsi, les femmes s’engagent davantage que les hommes dans des comportements liés à l’environnement au sein du foyer (achats écologiques, diminution et tri des déchets, etc.) ; mais cette traduction dans les tâches ménagères des préoccupations environnementales ne porte pour autant pas le combat écoféministe.
L’analyse de l’activité associative est un autre indicateur de l’engagement. Elle tend à montrer que les femmes, en général, agissent davantage pour des aspects sociaux et environnementaux. Ainsi, si la part des hommes dans le milieu associatif est plus élevée que la part des femmes (44 % vs 40 %), la tendance s’inverse lorsqu’il s’agit d’association à caractère social (5 % vs 7 %) et s’équilibre pour la protection de l’environnement (2 % vs 2 %).
Des combats au quotidien
Si l’écoféminisme n’est pas visible en soi au sein des associations ou organisations formelles, il existe au quotidien. Ainsi, des femmes en zone rurale (agricultrices bio, écoconstructrices, accoucheuses, cueilleuses de plantes médicinales, éleveuses de brebis…) vivent un féminisme de la subsistance que la sociologue Geneviève Pruvost relie à l’écoféminisme.
Miriam Simos – alias Starhawk – autrice et activiste écoféministe, décrit quant à elle les actions d’aide mises en œuvre sur le terrain après l’ouragan Katrina aux États-Unis en les positionnant dans le champ de l’écoféminisme. Enfin, l’écoféminisme n’est pas forcément un combat porté par des femmes.
Pour émerger durablement, l’écoféminisme devra certainement se structurer – créer un mouvement clair et indépendant, comme les écologistes l’ont fait en leurs temps, pour diffuser ses idées.
Toutefois, l’écoféminisme remettant en cause la structure même de nos sociétés, il pourrait perdre de son essence à s’insérer dans ladite structure. La poursuite de sa voie dans la continuité des mouvements initiaux des années 1980 et dans le féminisme de la subsistance – basée sur l’action directe incarnée par les corps qui agissent, qui empêchent, qui bloquent, qui s’installent – pourrait être son chemin.
Un joli pied-de-nez au patriarcat qui, tel que présenté par Françoise d’Eaubonne, réduit les femmes à leurs « corps-objet ». Mais est-ce suffisant pour instaurer un vrai changement de paradigme ?https://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Magali Trelohan, Enseignante-chercheuse, marketing social, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.