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Homophobie : affûter les armes

samedi 1er juillet 2000, par Lionel 3

L’anti-homophobie en est a ses balbutiements. La lutte contre les préjugés homophobes n’a en effet pas le recul historique du mouvement antiraciste. Toutes les associations gay en province et a Paris ont contribué et contribuent encore a combattre l’homophobie, mais de nouvelles associations ont récemment décidé d’y consacrer tous leurs efforts.

Pour ces structures qui voient le jour depuis le début des années 90, il n’est plus possible de se contenter d’indignations morales et de réactions bien-pensantes. Elles cherchent encore leurs marques, peaufinent leur stratégie, mais le leitmotiv est toujours le même : aux discours de combat figés, substituer une connaissance objective des formes d’homophobie et les actions les plus concrètes possibles. "Il y a entre le racisme et l’homophobie une identité de fonctionnement, constate Pierre­-André Taguieff, directeur de recherches au CNRS sur la question des racismes" (1).

Mais l’anti-homophobie ne doit pas pour autant copier l’anti-racisme. Le mouvement doit inventer ses propres modes de protestation et de contestation. Et s’appuyer sur ses propres données." Et c’est la ou le bât blesse : les actes homophobes, de l’injure feutrée a l’agression physique, sont peu étudiés en France et ils ne sont quantifiés nulle part. Impossible dès lors d’en dresser un tableau et une évolution pertinents. Conséquence logique : difficile d’aiguiser des arguments anti-homophobes ou de savoir a quoi s’attaquer en priorité.

"Portez systématiquement plainte !", recommande SOS Homophobie. Les bénévoles de cette association fondée en juin 1994 ont choisi l’argument juridique contre les actes homophobes. "Beaucoup d’agressions se passent sur les lieux de drague, explique Gilles Condoris, membre de l’association. Elles ne sont pas toutes à proprement parler homophobes : les agresseurs cherchent a dépouiller ou dérober de l’argent... Après avoir écouté et rassuré les victimes, nous leur rappelons leurs droits... Et elles les ignorent souvent. La commission juridique de SOS Homophobie a ainsi mis au point des fiches pratiques exhaustives pour les "écoutants". Dans le cas d’une agression physique ou d’une arrestation abusive : où porter plainte, faut-il faire appel a un avocat ? Dans le cas d’une discrimination, dans le milieu professionnel par exemple, comment se battre devant les prud’hommes contre un licenciement en raison des mœurs ? Parallèlement, l’association souhaite aussi affiner sa connaissance des actes homophobes : tous les appels anonymes sont détaillés sur des fiches récapitulatives. Malheureusement, le temps et l’argent manquent aux bénévoles pour exploiter ces données... D’autres associations mettent davantage l’accent sur la prévention de l’homophobie. Face aux allusions récurrentes, aux expressions implicites du discours homophobe, elles ont décidé de s’attaquer aux racines du mal.

Comment lutter contre les préjugés ? Eduquer, éduquer éduquer. A son échelle, autour de soi, mais aussi a l’échelle de l’Education nationale. Ainsi, la récente amicale gay et lesbienne des enseignants Aglaé, créée en juin 1996, affiche une ambition claire rendre l’homosexualité visible dans les écoles, de la primaire à l’université.

"Nous pouvons bouleverser les choses dans l’Éducation nationale, affirme Philippe Clauzard, membre fondateur d’Aglaé. Par exemple, dans les cours de français des collèges et lycées, par le biais de textes faisant des références explicites a l’homosexualité, ou en diffusant des albums à colorier pour les enfants du primaire - un homme et une femme qui se donnent la main, mais aussi un homme et un homme, une femme et une femme -, ou encore en organisant des conférences au sein de l’université, peut-être aussi en s’appuyant sur des cours d’éducation civique où l’on enseignerait la tolérance. Comment convaincre la forteresse de la rue de Grenelle de la nécessité de ces changements ? "Il faut faire du forcing auprès des syndicats. Convaincre les gens par un discours intelligent, non pas en remontant a des arguments biologisants ou psychologisants, mais simplement en faisant des propositions concrètes." Le concret encore et toujours.

Pierre-André Taguieff, l’un des premiers a avoir pointé les dérives de l’anti-racisme, met en garde la toute jeune offensive anti-homophobe contre trois illusions "l’illusion judiciaire", "l’illusion de l’ennemi unique" et "l’illusion du complot".

Tout d’abord, les homosexuels ne régleront pas tous leurs problèmes dans les prétoires : les solutions résident aussi dans l’appropriation de l’espace public, dans la discussion, dans le rappel constant de l’égalité des droits. "Il aura suffi d’un entretien entre des membres de SOS Homophobie et le directeur du magazine gratuit "Paris Boum Boum" pour que soient autorisées les petites annonces gay, précédemment boycotté, témoigne Gilles Condoris. Certaines discriminations surviennent souvent plus par ignorance ou par bêtise que par homophobie..."

Ensuite, l’anti­homophobie ne doit pas se résumer a un commando anti-Le Pen car, précise Taguieff il serait très naïf de croire que c’est contre l’extrême droite et exclusivement sur ce front-la qu’il faut se battre". Enfin, le discours qui tendrait a faire croire que tout non-homo est homophobe constituerait une dérive fatale.

La conclusion du tract "Pour une drague a moindre risque" diffusé par SOS Homophobie a déjà anticipé la critique "Ne devenez pas paranos". "Il ne faut pas sombrer dans le politiquement correct, conclut Taguieff. Toutes les blagues ne relèvent pas d’un processus de stigmatisation... Personne ne doit accepter l’injure et la diffamation. Mais chacun doit plaisanter sur lui-même." Bref être vigilant aussi sur la vigilance...

Sébastien Galceran ex aequo février 1997