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Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homosexuels

lundi 1er septembre 2003, par phil

"STIGMATISATION"

Pour la première fois en France, une étude épidémiologique, menée par l’association Aremedia avec la collaboration de l’Inserm, a mesuré ce mal-être évoqué par les écoutants de la ligne Azur. A la veille de la Journée mondiale de prévention du suicide, samedi 10 septembre, ce travail montre que ce phénomène touche les homosexuels de très près.

Les résultats préliminaires du travail de Marc Shelly, médecin de santé publique et responsable du centre de dépistage anonyme et gratuit de l’hôpital parisien Fernand-Widal, font apparaître que, "toutes choses égales par ailleurs" ­ âge, lieu de résidence, niveau d’études, catégorie socioprofessionnelle, structure familiale parentale, modes de vie (couple ou célibat) ­, les jeunes homosexuels ont treize fois plus de risque de faire une tentative de suicide que les jeunes hétérosexuels. Ces résultats confirment les chiffres issus des études américaines, canadiennes et australiennes : elles aboutissent, chez les homosexuels, à des chiffres de "sursuicidalité" variant de six à treize.

Les chiffres français ont été obtenus à partir d’un échantillon de 993 hommes âgés de 16 à 39 ans. Tous ont raconté leur trajectoire "socio-biographique" en remplissant un long questionnaire informatisé installé, de 2000 à 2004, sur trois sites : le festival de lutte contre le sida Solidays, qui a lieu tous les ans en région parisienne, le Centre d’information et de documentation pour la jeunesse (CIDJ), à Paris, et le centre de sélection des appelés du contingent de Blois, dans le Loir-et-Cher.

Dans une étude exploratoire menée en juillet 2002 auprès de 368 personnes et publiée par le British Medical Journal , Marc Shelly avait tenté de comprendre cette forte propension au suicide des homosexuels. En analysant les résultats, il avait ainsi constaté que chez les jeunes gays, les tentatives de suicide étaient fortement associées à une dégradation de l’estime de soi : 80 % de ceux qui avaient attenté à leur vie au moins une fois avaient une opinion négative d’eux-mêmes ou évoquaient un manque de respect envers eux-mêmes ou perçu chez autrui.

Marc Shelly avait alors fait l’hypothèse que cette forte "sursuicidalité" était liée à la "stigmatisation dévalorisante de l’homosexualité perçue au sein du cercle familial ou à l’école, qui produit des effets désastreux sur la construction personnelle" .

Pour beaucoup de responsables associatifs du milieu gay, ces résultats ne sont guère surprenants. " Les homosexuels ont le choix entre le secret, qui est psychologiquement épuisant, et le "coming-out", qui entraîne souvent le rejet de la famille, du voisinage ou des collègues de travail , raconte Alain Piriou, le porte-parole de l’Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans), qui organise la Marche des fiertés homosexuelles. Se donner la main dans la rue, comme le font tous les hétérosexuels, c’est s’exposer à des regards, des remarques, voire des agressions. Et à l’adolescence, quand on est fragile, on le supporte très mal."

"SOUFFRE-DOULEUR"

Même constat de Yannick Gillant, psychologue, qui a, pendant trois ans, accueilli des jeunes au sein de Debout étudiants gays et lesbiennes (Dégel), une association sur le campus de Jussieu : "C’est difficile, à l’adolescence, de se sentir différent, de ne pas arriver à participer aux discussions, aux flirts et aux blagues que font les copains. L’homophobie n’est pas forcément violente, mais à cet âge-là, il y a des codes à respecter et les jeunes homosexuels en sont exclus. Du coup, ils se taisent et toute leur vie psychique est organisée autour de ce secret. Jusqu’au jour où ils craquent."

Pour éviter les passages à l’acte, le psychologue Eric Verdier, chargé de mission à la Ligue des droits de l’homme et auteur avec Jean-Marie Firdion de Homosexualités et suicide (H & O, 300 p., 17 euros, 2003), a mis en place en 2004 une dizaine de groupes de parole à Paris, Cherbourg, Marseille, Arras ou Nancy. "Au cours de ces réunions, beaucoup évoquent les moqueries et les rires qui visent leur homosexualité réelle ou supposée, affirme-t-il . L’adolescence est l’âge de tous les dangers et le thème de la différence est alors une question-clé. Souvent, ceux qui viennent nous voir ne sont pas conformes aux stéréotypes de la masculinité ou de la féminité et ils se sentent rejetés : ils ont le sentiment d’être des souffre-douleur."

Ces groupes accueillent régulièrement une quarantaine de jeunes. "Selon plusieurs enquêtes, un suicide adolescent sur deux serait lié à l’homosexualité , ajoute-t-il. Beaucoup ont intériorisé l’homophobie à laquelle ils ont été confrontés tout petits à travers les insultes ou les blagues visant les homosexuels. Du coup, ils se sentent dévalorisés et ils sont incapables d’en parler à leurs proches. Notre travail, c’est de leur dire qu’il y a des lieux où cette différence est acceptée et qu’on peut s’approprier une identité."


Anne Chemin Extraits de l’article paru dans l’édition du monde du 10.09.05