Accueil > ACTUALITÉS SELECTIVES > La réforme du nom de famille s’attaque à la forteresse paternelle

La réforme du nom de famille s’attaque à la forteresse paternelle

samedi 1er octobre 2005, par phil


 Le 1er janvier 2005, les parents pourront transmettre à leurs enfants le nom du père, le nom de la mère ou les deux noms, accolés.
 Le NOM CHOISI pour le premier enfant s’appliquera aux suivants.
 Une petite RÉVOLUTION en France, alors que le patronyme existe depuis le XIIe siècle. Cette règle, qui répond aux exigences du Conseil de l’Europe et des Nations unies, repose sur trois principes : la liberté de choix des parents,
 L’ÉGALITÉ DES SEXES et la non-discrimination selon les modes de filiation. En Suède, la règle existe depuis 1982, et Ulrika, mère de deux enfants, considère qu’elle « renforce le sentiment d’appartenance à une famille comme entité à part ».
 Pour l’anthropologue Valérie Feschet, « la RÉHABILITATION DU MATRONYME » montre qu’aujourd’hui « les familles se structurent de plus en plus autour des femmes ».


 A partir du 1er janvier 2005, les parents pourront transmettre à leurs enfants le nom du père, celui de la mère ou les deux accolés. Cette modification, réclamée dès 1978 par le Conseil de l’Europe, bouleverse le modèle existant et s’adapte aux nouvelles réalités de la famille.

 C’est une petite révolution dans le jeu subtil des générations et de la transmission : à partir du 1er janvier 2005, les parents pourront transmettre à leurs enfants « soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux ». Fondée sur une proposition de loi présentée en l’an 2000 par le député socialiste Gérard Gouzes, cette réforme a pour ambition affichée de rompre avec le « modèle de la famille légitime et la prééminence paternelle ». « La prééminence du nom du père apparaît comme une forme moderne de loi salique, affirme le rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale du 6 février 2001. C’est un nouveau symbole que le législateur doit désormais attaquer : la loi doit permettre, contre la coutume, la transmission du nom de la mère à ses enfants au même titre que celui du père. »

 En réalité, la forteresse paternelle s’était déjà quelque peu lézardée. Depuis 1985, les parents peuvent ajouter au nom du père celui de la mère, mais il s’agit d’un simple nom d’usage qui ne figure pas à l’état-civil et qui ne peut être transmis. Quant aux couples non mariés désireux de déjouer la prééminence paternelle, ils peuvent déjà utiliser une astuce juridique : il suffit que la mère déclare l’enfant la première pour qu’il porte son nom. Cette voie reste cependant très marginale ; en 1995 sur les 257 000 enfants nés hors mariage, 97 % des bébés d’un mois reconnus par leurs deux parents portaient le nom de leur père. « Si de plus en plus de couples refusent le mariage, ils osent encore rarement transgresser les règles de transmission du nom patronymique », résume France Prioux, directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED), dans une étude publiée en avril 2001 par Population et sociétés.

 UNITÉ DE LA FRATRIE

 Car la coutume est ancienne. Jusqu’au Moyen Age, les personnes portaient un simple nom de baptême, qui ne se transmettait pas de génération en génération. A partir du XIIe siècle, le patronyme est devenu héréditaire et la loi du 6 fructidor an II, en août 1794, a consacré le principe de l’immutabilité du nom. En 1870, la création du livret de famille a définitivement figé l’orthographe des patronymes. « Cette sanctuarisation des noms de famille s’est opérée alors que la structure familiale traditionnelle détenait encore le monopole de la reconnaissance sociale, note le rapport de la commission des lois. (...) Les règles de transmission du patronyme sont le reflet d’une époque : elles sont fondées sur le modèle de la filiation légitime et de la prééminence du père. » La nouvelle loi, qui a l’ambition d’épouser les valeurs du XXIe siècle, repose, elle, sur trois principes : liberté de choix pour les parents - ils peuvent transmettre, à leur guise, le nom du père, celui de la mère, ou les deux accolés ; égalité entre les sexes - le nom de la mère peut aussi bien être transmis que celui du père ; et non-discrimination selon les modes de filiation -la loi s’applique aussi bien aux enfants naturels qu’aux enfants légitimes. L’unité de la fratrie est sauve puisque le nom choisi lors de la naissance du premier enfant s’appliquera ensuite à ses frères et sœurs. La loi conserve une seule trace de la prééminence paternelle : en l’absence de « déclaration conjointe de nom » ou en cas de désaccord entre les parents, l’enfant portera le nom du père. A la première génération, le schéma est donc simple mais à la génération suivante, le casse-tête psycho-affectif se corse : si deux enfants ayant hérité d’un double nom deviennent parents, ils ne pourront évidemment transmettre les quatre. S’ils souhaitent accoler leurs noms, il leur faudra donc choisir entre leur père et leur mère.
 Avec cette réforme, la France répond - avec retard - aux exigences internationales. Dès 1978, une résolution du comité des ministres du Conseil de l’Europe demandait aux gouvernements de « prendre les mesures nécessaires afin d’accorder aux deux époux des droits égaux en ce qui concerne l’attribution du nom de famille aux enfants ». Un an plus tard, les Nations unies demandaient aussi à leurs membres de « faire disparaître toute disposition sexiste dans le droit du nom ».

 « NOUVEAUX DÉSÉQUILIBRES »

 Face à l’inertie de nombreux gouvernements, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe insistait en 1995 : « Le nom est un élément qui caractérise l’identité des personnes et dont le choix revêt à ce titre une importance considérable, soulignait une recommandation. La perpétuation de discrimination entre les hommes et les femmes dans ce domaine est inacceptable. » Aujourd’hui, la plupart des pays européens ont modifié leur législation : l’Allemagne en 1976, la Suède en 1982, le Danemark en 1983, l’Espagne en 1999. Mais pour certains, la rupture avec les coutumes ne va pas de soi. Dans un rapport sur le droit de famille, rendu au garde des sceaux en 1999, la commission Dekeuwe Défossez estimait ainsi que la transmission du nom de la mère pourra « créer de nouveaux déséquilibres < de nouveaux enjeux qui contienne/ indirectement le risque déporter un atteinte supplémentaire à l’image a la paternité ». « Il n’est pas opportun de fragiliser la transmission du nom du père alors que les réformes proposées s’attachent à ne pas dévalorise sa place dans le droit de la filiation, ou de l’autorité parentale », poursuivait la commission. Pour d’autres, notamment le ; psychanalystes, la transmission du nom du père ne peut se résumer à une simple manifestation de la domination masculine. « Si c’est le père qui donne son nom à la filiation c’est, tout simplement, parce qu’il est le seul au regard de qui la filiation est symbolique, soulignait ainsi, dans Le Monde, Bernard Lamizet, professeur à l’institut d’études politiques de Lyon. La grossesse établit, pendant neuf mois, un lien particulier entre la mère et l’enfant, tandis que la paternité repose sur la reconnaissance, c’est-à-dire sur un acte proprement symbolique. (...) L’assignation à l’enfant du nom patronymique sanctionne le fait que la filiation n’est pas un fait biologique mais un fait institutionnel. »

Extrait de HomoEdu.com, 2005