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Conférence avec Daniel Borrillo : Une entrée sur les thèmes des études gays et lesbiennes

jeudi 29 août 2002, par Andy

L’intégralité du débat avec Daniel Borrillo, maître de conférences en droit privé à l’université Paris-X-Nanterre, mercredi 18 mai 2006, à 11 h .


 Fabrice : Y a-t-il vraiment quelque chose de commun entre la persécution des homosexuels iraniens, qui risquent la peine de mort, et disons, un employé français qui subit des plaisanteries pesantes mais pas vraiment assassines ? Quelle est la cohérence du concept même d’homophobie ?

 Daniel Borrillo : Il n’y a pas de commune mesure concernant la gravité de l’acte de violence, mais il y a une unité dans la logique sous-jacente. L’homophobie est une forme d’exclusion qui peut aller de la peine de mort, comme c’est le cas aujourd’hui encore dans certains pays - l’Afghanistan, l’Iran, l’Arabie saoudite ou le Pakistan -, jusqu’aux boutades et plaisanteries habituelles dans les cours de récréation. Bien évidemment, la gravité n’est pas la même, mais il y a pour moi un continuum dans l’homophobie qui répond à cette même logique d’infériorisation, d’exclusion, de stigmatisation, et parfois d’anéantissement de l’autre.

 Sharklady : Bonjour, la loi française définit-elle l’homophobie ?

 Daniel Borrillo : Le terme homophobie n’apparaît pas dans la loi française. Celle-ci parle de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, d’injures, d’incitation à la haine ou de diffamation fondées sur l’orientation sexuelle.

 On peut donner une définition de l’homophobie : pour moi, c’est un système à partir duquel une société organise un traitement spécifique selon l’orientation sexuelle des individus. L’homophobie octroie à l’hétérosexualité le monopole de la normalité et fomente, encourage le dédain envers celles et ceux qui s’écartent du modèle de référence.

 Luc : Quelles sont les principales formes d’homophobie en France ?

 Daniel Borrillo : Trois grandes formes d’homophobie : une homophobie religieuse, qui provient de trois grandes formes de monothéisme, l’islam, le judaïsme et le catholicisme ; une homophobie clinique, qui consiste à considérer l’homosexualité comme un problème de développement psychique de l’enfant ; et une homophobie libérale, qui consiste à tolérer les homosexuels, mais exclusivement dans l’espace privé. C’est la tolérance de l’homosexualité dans le placard...

 Em : L’homophobie est-elle plus présente dans certains milieux sociaux, dans certaines zones géographiques (ville / banlieue / campagne par exemple) ?

 Daniel Borrillo : Oui, les études menées sur la géographie de l’homophobie montrent que plus le niveau d’éducation est élevé chez l’individu, moins il a de comportements homophobes. De même, l’homophobie apparaît plutôt comme un phénomène rural, il y en a moins dans les grandes villes qu’à la campagne. La variable âge est aussi à tenir en compte : plus la personne est jeune, moins elle est homophobe. Et enfin, la variable sexe : les femmes sont moins homophobes que les hommes.

 Mais s’il y a aussi une relation entre le niveau d’éducation, le milieu professionnel et la fréquence de l’homophobie, il ne faut pas non plus généraliser : l’homophobie est répartie dans toutes les classes, même si elle se manifeste de façon différente. L’homophobie existe en milieu populaire, mais aussi dans les milieux plus élevés, ce dont témoignent par exemple les discours psychanalytiques ou anthropologiques que l’on a entendus pour s’opposer au pacs.

 Amdg : Quels sont les arguments scientifiques pour ne pas considérer l’homosexualité comme un "problème de développement psychique" ?

 Daniel Borrillo : Depuis l’année 1973, l’Association psychiatrique américaine a rayé de la liste des maladies mentales l’homosexualité, et l’Organisation mondiale de la santé a fait de même il y a aujourd’hui quinze ans. Donc aujourd’hui, les grandes institutions scientifiques sont d’accord pour considérer que l’homosexualité n’est pas un problème ni individuel ni social.

C’était une demande sociale de révision du présupposé scientifique selon lequel l’homosexualité pouvait être considérée comme une maladie. En fait, cette considération était plutôt d’ordre idéologique que scientifique. Ne trouvant aucune base pour justifier une telle hiérarchisation entre homosexualité et hétérosexualité, les instances scientifiques internationales ont cessé de considérer l’homosexualité comme un problème.

La première fois que l’on a utilisé le mot "homophobie", ce fut en 1971, dans un article signé par le professeur Smith dans une revue scientifique de psychologie, dans lequel il essaie de donner une explication, un profil de la personnalité homophobe. Ce qui est aujourd’hui considéré comme problématique par la science, ce n’est pas la personnalité homosexuelle, mais la personnalité et le comportement homophobes.

 Macaron : Quelle est la situation dans les autres pays européens ?

 Daniel Borrillo : Très variée. Pour intégrer le Conseil de l’Europe, les Etats doivent s’engager à dépénaliser l’homosexualité. En ce qui concerne l’Union européenne, les pays doivent non seulement s’engager à dépénaliser l’homosexualité, mais également à protéger les homosexuels contre les discriminations, en particulier les discriminations à l’emploi et au travail. Au niveau du droit de la famille, la situation est variée : certains pays reconnaissent le mariage, comme les Pays-Bas, la Belgique et prochainement l’Espagne. D’autres pays reconnaissent l’union civile, comme la France, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark. D’autres encore reconnaissent le concubinage, comme la Hongrie ou le Portugal. Et certains pays ne reconnaissent pas du tout l’union homosexuelle, comme l’Autriche, l’Italie ou la Pologne.

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 Philippe : On peut lire que la nouvelle Constitution européenne lutte contre les discriminations. Est-ce une véritable avancée contre l’homophobie ?

 Daniel Borrillo : Oui, les avancées concernant la lutte contre les discrimination envers les homosexuels et contre l’homophobie ont très souvent été promues par l’Union européenne. La France a actualisé son dispositif de lutte contre les discriminations grâce à une directive de l’an 2000. La Constitution européenne, de mon point de vue, consolide la lutte contre les discriminations et contre l’homophobie.

 Pierre : De quelle façon l’homophobie se manifeste-t-elle ? Pourriez-vous nous donner des précisions chiffrées ?

 Daniel Borrillo : Par exemple, dans les études canadiennes concernant le suicide des adolescents homosexuels et des adolescents hétérosexuels, le taux de suicide des premiers est 5 à 7 fois plus élevé que celui des seconds. Aujourd’hui en France, nous n’avons pas d’étude officielle, sociologique, épidémiologique, mais les informations provenant d’associations telles que SOS-Homophobie, Amnesty International ou Sida Info Services montrent qu’il y a régulièrement des agressions homophobes au sein de la famille, à l’école, au travail, dans les quartiers, etc. Je renvoie aux rapports que j’ai cités pour les chiffres.

 Il y a eu une augmentation des appels au niveau des associations, qui sont passés du simple au double à partir de la promulgation de la loi qui sanctionne les propos homophobes, c’est-à-dire que la loi a permis de rendre visible l’agression homophobe.

 Yo : Selon vous, être opposé au mariage entre personnes de même sexe constitue-t-il un comportement homophobe ?

 Daniel Borrillo : Ça dépend de la définition que l’on donne de l’homophobie. Si l’homophobie est un système de hiérarchisation des sexualités au sein duquel l’hétérosexualité est la condition pour bénéficier de l’égalité des droits, le fait de ne pas avoir droit au mariage peut être considéré comme une forme d’hétérosexisme ou d’homophobie.

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 Fredo : Y a-t-il des pays où l’homophobie est interdite, c’est-à-dire punie par la loi ?

 Daniel Borrillo : Oui. Il y a des pays, comme la France, où les actes matériels de discrimination et les discours d’incitation à la discrimination sont prohibés par la loi. Le code pénal prévoit des circonstances aggravantes dans les cas de meurtres, tortures, violences, menaces, agressions sexuelles, extorsions, vols, etc., si le mobile du crime est homophobe. De même, le code du travail sanctionne les discriminations et le harcèlement moral envers les homosexuels. La loi française pénalise aussi les discours homophobes.

 Ce dispositif de pénalisation existe aussi en Grande-Bretagne, en Suède, en Belgique, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis et au Canada, à des degrés différents. Beaucoup de pays occidentaux pénalisent l’homophobie.

 DJ : Quelles devraient être les mesures de prévention de l’homophobie ?

 Daniel Borrillo : La pédagogie. Par exemple dans les cours d’éducation sexuelle à l’école, on devrait présenter l’homosexualité comme une forme de sexualité aussi légitime que l’hétérosexualité. Par exemple dans les manuels scolaires, on devrait aborder l’homosexualité des personnages historiques ou littéraires naturellement, comme on le fait pour les personnages hétérosexuels.

Il faudrait qu’il y ait aussi une formation contre l’homophobie au sein des syndicats, à l’école de la magistrature, dans la formation des policiers. Bref, pour toutes les personnes qui ont des contacts réguliers avec le public.

 Fleur bleue : Que pensez-vous de la création de cette Journée contre l’homophobie ? Existe-t-elle ailleurs dans le monde ?

 Daniel Borrillo : La première journée de lutte contre l’homophobie a eu lieu à Montréal le 1er juin 2003. C’est la fondation Emergence qui l’a proposée, et le gouvernement du Québec l’a officialisée. Depuis, plusieurs pays ont commencé à célébrer cette journée de lutte contre l’homophobie et en France, elle s’est tenue pour la première fois hier. J’ai appris que le Parlement belge vient de voter, le 17 mai, une loi consacrant la Journée internationale de lutte contre l’homophobie.

 Amarillo : Que penser du travail de pédagogie dans l’éducation lorsque l’on voit l’éducation nationale qui reste fermée à ce débat sur la lutte contre l’homophobie, très présente dans les écoles, de peur de heurter la sensibilité des parents d’élèves ? A ma grande surprise, certaines écoles privées sont bien plus ouvertes que certaines écoles publiques...

 Daniel Borrillo : L’ancien ministre Jack Lang avait mis en place un projet de sensibilisation contre l’homophobie à l’école, mais le changement de gouvernement n’a pas permis de développer le programme. Depuis, effectivement, il n’y a eu aucune politique publique mise en place par la droite. Si l’homosexualité est considérée aujourd’hui comme un comportement normal, on ne peut pas accepter un discours qui considère qu’il serait choquant de la présenter de la sorte dans l’espace de l’école.

Je pense qu’on peut faire un parallèle entre l’homophobie et le racisme. On n’accepterait pas aujourd’hui un discours qui prétendrait qu’il y a une hiérarchie des races. De même, la République n’accepte pas un discours de hiérarchisation des sexualités.

 Antenor : Bonjour, je reviens de trois ans en Côte d’Ivoire... Comment pensez-vous que l’on puisse lutter contre l’homophobie dans ces pays-là, alors qu’il reste tant d’autres choses à faire (lutte contre le sida, stabilisation des pays, développement économique...) ?

 Daniel Borrillo : La lutte contre l’homophobie peut être un révélateur du niveau de développement démocratique d’un Etat. Aujourd’hui, les Etats qui mettent en place une politique d’égalité et de lutte contre les discriminations sont souvent les plus développés économiquement et démocratiquement.

Vous avez évoqué la question du sida. Vous savez que là où les homosexuels étaient acceptés par la population, on a pu lutter plus efficacement contre le sida. En revanche, dans les Etats où l’homosexualité était punie ou simplement ostracisée, la lutte contre le sida a été beaucoup plus difficile.

Il ne faut pas voir les choses de manière exclusive. Je pense que lutter contre l’homophobie, c’est lutter pour l’égalité, c’est lutter contre l’irrationnalité, pour l’intégration de tous et le respect des différences.

 Arthur : Un individu homophobe est-il dans la plupart des cas raciste ?

 Daniel Borrillo : Effectivement, encore une fois les études américaines montrent que souvent racisme et homophobie vont ensemble. De même que, très souvent, misogynie et homophobie font bon ménage.

 Michel : L’homophobie n’est-elle qu’une forme spécifique de racisme ?

 Daniel Borrillo : Oui, on peut dire que c’est une forme d’exclusion, comme le racisme. Et également une forme de sexisme. Parce que l’homophobie est la gardienne de la différence des genres : masculin, féminin.

 Azerty : A ma connaissance, l’asile n’est pas accordé par la France aux homosexuels qui subissent des persécutions dans leur pays d’origine. Qu’en pensez-vous ?

 Daniel Borrillo : La situation du droit d’asile est très complexe. Quelques homosexuels ont pu obtenir le droit d’asile en France, mais je crains que la nouvelle notion de "pays sûrs" mise en place par Dominique de Villepin ne permettra pas à beaucoup d’homosexuels victimes de violences homophobes de demander l’asile politique en France.

 Piet : Selon vous, l’homophobie doit-elle être le combat prioritaire du mouvement LGBT (lesbien, gay , bi et transsexuel) ? L’homoparentalité, par exemple, ne devrait-elle pas passer avant ?

 Daniel Borrillo : On ne peut pas dicter à un mouvement ce qu’il doit faire. Personnellement, je suis pour les combats positifs, et non les combats négatifs. Aujourd’hui, lutter pour l’égalité, le droit au mariage, l’homoparentalité me semble plus efficace que simplement faire un contrôle ou une police de l’opinion.

A l’occasion du mariage de Bègles, le Parti socialiste avait critiqué Noël Mamère sur la forme, il s’est engagé à présenter une proposition de loi pour le droit au mariage et à l’homoparentalité, mais à ma connaissance, cette proposition n’a jamais été déposée. Il me semble aujourd’hui intéressant de savoir ce que le Parti socialiste pense sur cette question, d’autant plus que l’Espagne donnera sous peu le droit au mariage et à l’homoparentalité à tous les citoyens du royaume.

 Pierre-olivier : Êtes-vous favorable à une politique de "discrimination positive" concernant les homosexuels ?

 Daniel Borrillo : Non, je n’y suis pas favorable, je suis favorable à une politique d’application du droit commun, du droit universel. C’est-à-dire une égalité au niveau de l’individu homosexuel, du couple de même sexe et de la famille homoparentale. Pas de discrimination positive, simplement faire entrer l’homosexualité dans le droit commun.

 Freddy75 : L’homophobie théorisée de l’Eglise catholique vous semble-t-elle un socle pour l’homophobie en général ? L’Eglise catholique romaine dans sa "ratio", son règlement intérieur des séminaires, écarte les hommes ayant des tendances homosexuelles (même sans être pratiquant)... Cela relève-t-il de la loi sur la lutte contre l’homophobie ?

 Daniel Borrillo : Je pense que l’Eglise catholique a historiquement contribué à l’exclusion et à l’infériorisation, non seulement des homosexuels, mais aussi des femmes et d’autres minorités religieuses ou philosophiques. Le catéchisme de l’Eglise catholique considère l’homosexualité comme un comportement désordonné. Le pape Benoît XVI, quand il était le responsable de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a condamné l’homosexualité à plusieurs reprises. Jean Paul II a même parlé de comportement diabolique.

Effectivement, tout cela pourrait être considéré comme injurieux, et si un juge français veut appliquer la loi, je pense que certains dignitaires de l’Eglise pourraient être condamnés. Mais il n’existe encore aucune jurisprudence.

 Amdg : Merci de vous prononcer aussi sur le judaïsme et l’islam à propos de l’homophobie.

 Daniel Borrillo : J’ai dit que les trois religions monothéistes, aussi bien l’islam que le judaïsme ou la chrétienté, condamnent l’homosexualité avec la même vigueur et dans les mêmes termes. La différence réside simplement dans le contexte politique dans lequel ces religions évoluent. Aujourd’hui, évidemment, dans les pays où l’islam est religion officielle, l’homophobie est aussi dangereuse et virulente que lorsque l’Europe était gouvernée par la papauté.

 Pour aller plus loin, notamment concernant les données chiffrées, vous pouvez vous reporter au livre de Daniel Borrillo, L’Homophobie, PUF, coll. "Que sais-je ?", Paris, 2000.

 Extraits du Chat modéré par Claire Ané et Guillaume Pélissier-Combescure http://www.lemonde.fr/web/chat/0,46-0@2-3226,55-650917@51-771425,0.html

 Extrait du Monde.fr