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Le concept de vulnérabilité

dimanche 19 mai 2002, par phil

AVIS D’UN PSY
Le concept de vulnérabilité
Selon le psychanalyste François Delor


 L’école doit participer à la socialisation des jeunes concernés par l’homosexualité. Mais cette attitude très souhaitable ne doit pas conduire à une discrimination positive stigmatisant un groupe d’individu sur un registre d’infantilisation et commisération dommageables. Une éducation ouverte sur les questions de l’homosexualité ne doit devenir une injonction à s’assumer, à se décider, à faire son coming-out. Il convient de respecter l’individualité, le particularisme, la complexité dont chacun est dépositaire.

 Il faut laisser le temps du questionnement et du doute chez les jeunes, il ne peut s’agir de les prendre en charge avec des solutions en kit, prêtes à l’emploi. La construction identitaire de soi, de la représentation qu’on a de soi, de celle qu’on veut donner aux autres, et de celle vers laquelle on peut vouloir se projeter est un cheminement long qui se gagne seul. C’est son propre sillage qu’on façonne au regard de celui des autres que l’éducation nous offre à connaître, à analyser et à comprendre. Éduquer n’est pas un acte militant, mais un geste intellectuel et humain. François Delor met en garde contre les dérives réductrices du concept de vulnérabilité du jeune gay ou de la jeune lesbienne.

 "La désignation d’une population qui serait vulnérable en tant que telle peut conduire à sa stigmatisation, ou bien encore à sa prise en charge sur un registre d’infantilisation ou de bienveillance plus ou moins humanitaire ou chrétienne. Ne pas mettre en évidence les raisons et le contexte dans lequel se construit la vulnérabilité, c’est de toute façon faire porter aux personnes elles-mêmes le poids de celle-ci. (...) Désigner d’autres comme vulnérables, c’est se définir soi-même comme moins vulnérable. Pour un militant gay (...) déclarer que tous les jeunes homosexuels sont vulnérables est une forme de réaffirmation identitaire. La figure de l’homosexuel vulnérable permet aux gays de se fédérer autour d’une image idéale, celle de l’homosexuel qui s’assume, qui est intégré dans un réseau de sociabilité et qui est reconnu par la société.(...) la sexualité reste une sphère où il est illusoire de croire qu’on peut s’assumer de manière parfaitement adéquate et l’espace de la sexualité demeure à la fois passionnant et problématique pour tous les humains. Il n’y a donc aucune raison de croire que les homosexuels auraient résolu ces questions mieux que les autres.

 En fait, penser que les questions liées à l’homosexualité peuvent être parfaitement résolues avec l’âge, c’est participer à la vulnérabilisation de ceux qui, jeunes ou moins jeunes, sont loin d’en être là et qui, à cause de ce discours précisément, ne se sentent pas reconnus et respectés dans leurs hésitations et leurs questionnements (...) en gommant ou en annulant les expériences particulières des individus(...) (la notion de vulnérabilité) peut être pertinente comme point de départ, à condition de prendre en compte chacun des éléments de cette vulnérabilité (vulnérabilité du néophyte, mais jeu de séduction opposé aux plus âgés), vulnérabilité socio-économique,niveau d’éducation, réseau social...) (...) Le fait de ressentir une préférence sexuelle minoritaire est un élément de différenciation sociale qui peut accroître la vulnérabilité, mais cet élément peut aussi être le cristalliseur ou condensateur d’autres vulnérabilités existantes. (difficultés scolaires, problèmes avec les parents...) (...) il est faux de croire et de laisser penser qu’en résolvant son problème identitaire, une jeune gay aura systématiquement tout résolu quant aux processus de vulnérabilisation dont il est l’objet (...) Le coming-out est probablement une étape positive, même si je pense qu’elle ne résout pas toute la vulnérabilité.C’est un acte libérateur du moins quand il s’agit d’un processus individuel qui conduit chacun à inventer la manière dont il veut s’inscrire et reconnu comme un acteur particulier de sa préférence sexuelle (...) La fierté comme ressource stratégique permet souvent de contrer l’oppression de la norme dominante. Mais à l’intérieur des communautés elles-mêmes, il me semble qu’il faut promouvoir, au contraire, une position radicalement modeste, que ce soit à l’égard des nouveaux venus ou à l’égard de ceux qui ont le plus de difficultés à se reconnaître ou à jouer avec liberté dans les jeux d’affiliations multiples et d’appartenances sociales complexes."


Propos recueillis par Eric Lamien, Ex-Aequo, mars 1999.