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L’entrée dans la sexualité

mercredi 29 août 2001, par phil

Un chapitre de l’enquête nationale sur le comportement sexuel des 15-18 ans en France est consacré aux attirances homosexuelles, tant chez les garçons que chez les filles.


 "La majorité des enquêtes sur les comportements sexuels des jeunes s’intéresse peu -ou pas du tout-à celles et ceux qui ont des pratiques homosexuelles. [.4 On peut dire que ce désintérêt scientifique se tait l’écho et renforce la vision sociale de l’homosexualité, phénomène minoritaire au double sens statistique et sociologique, position dominée dans le champ sociaL" (B. Lhomond)

 Le livre paru en mars dernier (i) et qui rend compte de l’enquête nationale sur le comportement sexuel des 15/18 ans en France consacre un long chapitre aux attirances et pratiques homosexuelles des garçons et des filles (2). Avant d’aborder les résultats de cette partie de l’enquête, arrêtons nous sur la méthodologie : il s’agit d’une recherche quantitative en population générale, donc répondant aux critères habituels de représentativité. Cependant, autant les données quant aux attirances homosexuelles semblent statistiquement valides (nombre de cas suffisant), autant en matière de pratiques effectives l’échantillon n’est pas assez conséquent pour en tirer des conclusions définitives. l’ouvrage expose en ce domaine davantage des hypothèses et des pistes de recherche. Dans ce bref compte rendu, nous aborderons plutôt la question des attirances pour le même sexe. La définition adoptée par les auteurs pour les pratiques sexuelles prend en considération l’ensemble des rapports génitaux. Il n’a pas été demandé aux répondants de s’auto-désigner comme hétéro-, homo- ou bisexuels. Les enquêteurs ont eux-mêmes évité d’utiliser ces termes, préférant questionner les enquêtés quant au sexe des personnes avec qui ils entrent en interaction.

 Remarquons enfin que non seulement Brigitte Lhomond parle d’homosexualité dans une recherche sur la sexualité en général, mais qu’elle consacre le même espace et le même intérêt aux attirances et pratiques homosexuelles masculines et lesbiennes. Cette démarche rompt agréablement avec les écrits qui prétendent par-1er des deux tout en réduisant les unes à quelques lignes ou mises en parallèles furtives. Les nombreux résultats de cette enquête explorent des thèmes variés. La façon de les exposer est très précise, et alors qu’on pourrait parfois croire à des contradictions, une lecture approfondie en éclaire les nuances. Le chapitre, et le livre dans sa totalité d’ailleurs, en dépit des a priori négatifs que l’on pourrait avoir face à des données chiffrées, est d’une lecture agréable.

 Ce qui revient à dire que les statistiques, malgré une idée couramment répandue, n’ont pas le simple rôle de corroborer ce que tout le monde pense déjà. Elles instruisent aussi. Je ne vais pas faire ici un tableau exhaustif des caractéristiques qui se dégagent. Je me contenterai de relever quelques faits significatifs. Ce qui ’-apparaît avec le plus de systématisme est la différence de gestion et de sociabilité des filles et des garçons : "L’attirance pour le même sexe s’exprime par des comportements inverses chez les filles et chez les garçons : les premières se précipitent en quelque sorte dans les différentes étapes de l’entrée dans la sexualité, alors que les seconds attendent avant d’aborder les différentes pratiques. "A titre illustra-tif, alors que les garçons attirés par des hommes se masturbent plus tard que ceux attirés par des filles, les filles attirées par les personnes de même sexe se masturbent plus tôt et davantage que les autres filles. Et alors que pour les garçons une attirance pour le même sexe n’entraîne pas une consommation supérieure à la moyenne recensée pour l’ensemble des enquêtés masculins de tabac, alcool ou drogues douces, c’est la situation opposée qui est observée chez les filles. De ces différences, dont nous n’avons sélectionné ici que quelques traits, Brigitte Lhomond déduit que "les garçons [attirés par les garçons] semblent faire preuve d’une plus grande normativité que les filles [attirées par les filles]". Il y a cependant quelques points communs entre filles et garçons à attirances homosexuelles, mêmes s’ils ne se traduisent pas toujours sous des formes semblables.
 Ainsi, dans les deux cas, les réseaux de sociabilité sont plus mixtes que pour les personnes à attirances exclusivement hétérosexuelles. Et "l’attirance pour le même sexe favorise le choix de ses amis proches parmi des personnes du sexe opposé. [Même si] cette attirance implique un rétrécissement du groupe de copains pour les garçons, alors que pour les filles, à l’inverse, la bande a une structure plus large" Quant au premier baiser, indépendamment de l’attirance, il s’échange dans la quasi-totalité des cas avec une personne du sexe oppose. D’autre part, les premiers rapports homosexuels, pour les garçons comme pour les filles, ont lieu le plus souvent avec une personne nettement plus âgée. Précisons égale-ment que ce n’est pas parce que les interviewés déclarent des attirances homosexuelles qu’elles sont exclusives. Enfin, ne résistons pas à confronter quelques clichés : eh non ! les coiffeurs, ou du moins les élèves en coiffure,. ne déclarent pas une plus forte attirance homosexuelle que les autres. Par contre, dans le bâtiment... Bon, les formations aux métiers de l’art ou de la création semblent se conformer à nos croyances : elles paraissent attirer plus de pédés et de lesbiennes que la moyenne. Ou encore : eh oui, il y a un peu plus de pédés et de lesbiennes en devenir chez ceux et celles qui ont été en internat ! Bref, un chapitre et un livre à ne pas manquer ! Seule petite frustration, mais inhérente à ce type même d’investigation : parfois on aimerait aller plus loin dans les explications. Mais reconnaissons aux auteurs qu’ils ne sont pas tombés dans le piège de la sur-interprétation statistique. Sans doute une recherche qualitative s’appuyant sur les présents résultats permettrait-elle de compléter l’analyse.

 Catherine Deschamps

Article paru dans le "3KELLER - LE JOURNAL DU CENTRE GAI&LESBIEN" - MAI-JUIN 1997