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elles @ artistes aussi

samedi 29 août 2009, par Lionel 3

 Angelika Kaufmann a certainement eu de la chance. Son père accepte très tôt son désir et recourt en 1754, alors que la jeune fille n’a que quatorze ans, à un subterfuge afin de ne pas contrarier sa vocation : il la déguise en garçon et l’inscrit au cours de Beaux-Arts de Bregenz, dans le Vorarlberg autrichien. L’année suivante, le talent de la jeune fille est reconnu et les commandes de la cour du duc d’Esté afflue. À vingt-sept ans, sa réputation a fait le tour de l’Europe et la voici élue membre d’honneur de la Royal Academy de Londres. Elle s’éteint en 1807, à l’âge de 66 ans. Le musée de Bregenz possède toujours 24 de ses toiles. Malgré son succès, Angelika confirme combien le statut d’artiste est depuis toujours une entreprise périlleuse. Encore plus pour la femme dont l’accès à l’art fut longtemps interdit puis limité. Le chemin fut long du xviii6 siècle où les artistes femmes prirent conscience de leur statut jusqu’au xxe siècle où elles accédèrent en toute égalité avec les hommes à la profession d’artiste. Les artistes femmes du Moyen âge au xvne siècle n’ont pu affronter le regard de leurs contemporains. Les rares à exercer le dessin et la peinture, issues de familles fortunées, recevaient une éducation artistique complète. Elles ne pouvaient toutefois pas explorer les sujets abordés dans les ateliers fréquentés par les hommes, études de nus ou perspective. Leur production se limitait aux natures mortes et aux portraits de familiers. Les seules pouvant tirer une notoriété de leur art étaient les abbesses, habilitées à exécuter des œuvres religieuses.

 À la fin du XVIIe siècle, certaines femmes prirent conscience de leur statut d’artistes. Saluons au passage Catherine Duchemin, première femme admise à la prestigieuse Académie royale de peinture et de sculpture en France.
 Alors que seules quatorze peintres femmes y siègent sous l’Ancien Régime, leur nombre sera arbitrairement limité à quatre à partir de 1770. Il s’agit de : Adélaïde Labille-Guiard, Elisabeth Vigée-Lebrun, Anne Vallayer-Coster et Marie-Suzanne Giroust-Ros-lin. La plus connue, les autres sont oubliées par les musées et les historiens d’art, Elisabeth Vigée-Lebrun, traverse toutes les vicissitudes de son époque sans que sa détermination et sa création en soient affectées. Appréciée par la reine Marie-Antoinette dont elle exécuta une trentaine de portraits, elle exposera régulièrement au Salon, la manifestation annuelle d’art contemporain. Exilée en 1789, la peintre fera fortune à Saint-Pétersbourg. Aujourd’hui elle est une des rares femmes à être exposée dans de nombreux musées européens dont Le Louvre. Ses correspondances et ses Souvenirs éclairent l’itinéraire d’une femme que l’art passionne.
 Du XIXe au XXe siècle En France, la discrimination sexuelle persiste jusqu’à la fin du xix" siècle à l’Académie comme dans les ateliers privés qui s’ouvrent aux femmes. Mais les cours leur coûtent deux fois plus cher, handicap d’autant grand que les artistes de cette période souhaitent subvenir à leurs besoins. Si les règles ignorent les sexes, l’esthétique reste dominée par le poids de la pratique masculine. Dans une publication*, Denise Noël rapporte ce témoignage de 1896 dû à Virginie Demont-Breton : « Quand on dit d’une œuvre d’art : C’est de la peinture ou de la sculpture de femme, on entend par là : C’est de la peinture faible ou de la sculpture mièvre, et quand on a à juger une œuvre sérieuse due au cerveau et à la main d’une femme, on dit : C’est peint ou sculpté comme par un homme. (...) Éviter une manière féminine, c’était privilégier la peinture à l’huile, travailler sur de grands formats, maîtriser la technique, s’affirmer tout en respectant certains critères fondamentaux acceptés par le plus grand nombre". Les trop novateurs Impressionnistes furent d’ailleurs taxés par leurs adversaires d’user d’un style féminisé.

 Il faut attendre le xxe siècle pour que les femmes artistes soient collectionnées. Beaubourg possède la collection la plus importante d’Europe et, depuis le 27 mai, présente au public plus de 500 œuvres de 200 artistes femmes de notre temps. Ressorties des réserves, elles occupent le niveau 4 et une partie du 5 du centre Pompidou. L’exposition montre combien, dans les années soixante et soixante- en particulier, les artistes femmes ont provoqué le public en utilisant la performance et la vidéo. Pour atteindre le malaise d’une époque révolue et exhiber les violences jusque-là enfouies.

 Le site interactif de l’exposition elles.centrepompidou.fr actualise les manifestations et offre des portraits filmés inédits d’artistes.

 L’art se révèle une délicate conquête de la femme. Chasse gardée du pouvoir, immense révélation humaine, il a intégré la femme qu’à contre-coeur et il y a peu de temps. Distinguer l’art au féminin ou distinguer les qualités esthétiques et les innovations créatives sans discrimination sexuelle, rien ne réparera l’injustice.

VÉRONIQUE GlRAUD


Choisir le statut d’artiste est une entreprise périlleuse. Encore plus pour la femme dont l’accès à l’art fut longtemps interdît. L’art plastique au féminin est mis en avant au centre Pompidou.


 Extraits d’article paru dans les pages culturelles de la Revue Pour n°138, septembre 2008

 A noter dans l’agenda :

elles@centrepompidou, artistes femmes dans les collections du Musée national d’art moderne Pipilotti Rist : « À la belle étoile », 2007, (détail), installation audiovisuelle.

Pour la première fois dans le monde, un musée présente ses collections au féminin. Cette nouvelle présentation des collections du Musée national d’art moderne est entièrement consacrée aux artistes-femmes de notre temps.

27 mai 2009 -