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Stéréotypes de sexe : quels impacts sur l’éducation ? Intervention de Françoise VOUILLOT

mercredi 21 septembre 2016, par Lionel 3

Je remercie le Centre Hubertine Auclert de m’avoir invitée à cette rencontre, où je suis particulièrement contente de rencontrer des personnes engagées dans les syndicats de l’Éducation nationale. Je suis enseignante-chercheuse à l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle, et mon intervention s’appuie entre autres sur les recherches de l’équipe OriGenre (Orientation et genre) que j’anime. Par ailleurs, je suis membre du Haut Conseil de l’égalité, qui a remis en octobre à la demande de la ministre des Droits des femmes, un rapport sur les stéréotypes et leurs effets délétères dans l’éducation, les media et la communication institutionnelle. Ce rapport comporte des préconisations précises.


Je commencerai ma présentation par les conséquences des stéréotypes sur l’orientation des filles et des garçons. Très peu d’emplois se révèlent mixtes. Le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) a montré que 60 % de cette non-mixité dans le monde du travail se tisse à l’école, via les différents paliers d’orientation. Cela dit, 40 % de cette ségrégation est due au fonctionnement même du marché du travail à l’égard des femmes et des hommes.
La lecture des graphiques sur l’enseignement professionnel fait apparaître des disparités importantes entre les filles et les garçons. Les filles représentent seulement 13 % des élèves dans les Bac pro production, et les garçons, un tiers dans les Bac pro services. Une disparité est également observée dans les secondes générales et technologiques, en raison d’une orientation plus importante des garçons vers l’enseignement professionnel à la n de la troisième.
Dans les séries générales, 54 % des élèves sont des filles, et 46 % des garçons, proportions que l’on devrait approximativement retrouver dans toutes les sé- ries, s’il n’y avait pas de lien entre le choix des séries et le sexe d’état civil des élèves. Or, ces proportions ne s’observent dans aucune des séries. On constate notamment une surreprésentation des filles dans la série littéraire. Mais si 80 % des élèves de L sont des filles, ce n’est pas parce qu’elles choisissent massivement cette série. Au contraire, il s’agit de la série générale qu’elles investissent le moins. La raison est que les garçons choisissent rarement d’aller en L. Des efforts sont faits depuis des décennies pour augmenter la présence des filles dans les filières scientifiques et techniques, mais comment ramener les garçons vers les filières littéraires et du social ? La mixité des formations et des métiers concerne autant l’orientation des filles que des garçons. Il ne s’agit pas uniquement du problème de l’orientation des filles vers les sciences et techniques.
Les filles demeurent un peu sous-représentées en S, sé- rie générale qu’elles choisissent en premier, mais moins massivement que les garçons. Dans la série Sciences et technologies de la santé et du social (ST2S), 90 % des élèves sont des filles, car les garçons désertent cette série. En revanche, dans la série Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable (STI2D), 93 % sont des garçons, car les filles ne s’orientent pas dans cette série.
Cette différenciation entre les filles et les garçons, qui se manifeste dès l’orientation en n de troisième, se retrouve après le baccalauréat. Les lles sont peu nombreuses dans les sections de techniciens supérieurs de production (STS), les écoles d’ingénieurs et les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques. Les garçons sont absents des lières du social, des écoles vétérinaires, des CPGE littéraires et des sections de techniciens supérieurs de services.
Ces différenciations dans les parcours scolaires ont des conséquences sur la mixité des métiers et des fonctions professionnelles. À quelques exceptions près, les hommes ne sont pas assistant-e-s maternel-le-s, secrétaires, infirmier-e-s ou aides-soignant-e-s. Les femmes elles, sont peu présentes dans les métiers de conducteur-trice-s d’engin ou de cadres du bâtiment, d’ingénieur-e-s de l’industrie, ou de cuisinier-e-s.
Les projections d’orientation des filles et la perception du déroulement de carrière des femmes sont souvent influencées par une autre sphère, le travail domestique, souvent invisibilisé, non reconnu et non valorisé. Le non partage du travail domestique, demeure un frein important pour la mixité des métiers et des fonctions professionnelles et donc pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces diverses données ne sont pas le produit de différences « naturelles » entre les lles, les femmes et les garçons, les hommes. Elles ne sont pas non plus, le re et des performances scolaires des lles et des garçons. Les orientations différenciées de lles et des garçons sont le résultat de processus subtils et répétés d’assignation et de construction de soi. Nous y participons tous et toutes, chacun-e à notre niveau, à la maison et ailleurs, de manière inconsciente. Ces processus prennent appui sur les stéréotypes déjà évoqués, qui produisent des effets sur les jugements que nous avons des autres, notamment ceux que les enseignant-e-s ont sur les filles et des garçons.
Ces stéréotypes génèrent également des conséquences sur nos attentes, nos comportements et nos pratiques à l’égard des personnes qui en sont l’objet. Ils servent de justification aux discriminations et influencent la construction identitaire des filles et des garçons. L’intériorisation des stéréotypes se fait dès la prime enfance.
Le fait pour les filles de se savoir l’objet d’un stéréotype négatif peut affecter leurs performances notamment en maths. C’est le phénomène de la « menace du stéréotype » mis en évidence par les travaux de Steele et Aronson (1995) à propos de la sous-performance des étudiant-e-s noir-e-s d’une université sélective à des tests cognitifs par rapport aux étudiant-e-s blanche-s. La crainte de rendre vrai le stéréotype entrave la mise en œuvre de leurs possibilités réelles. L’intériorisation du stéréotype affecte la confiance en soi, les sentiments de compétence, les intérêts et l’investissement dans les tâches données, avec un impact très important dans les processus d’orientation.
Les stéréotypes ne sont pas l’alpha et l’oméga des inégalités, ni des processus qui se manifestent via l’orientation. Le système de normes de masculinité/féminité définissant ce que doivent être et faire les lles et les garçons, les hommes et les femmes, est hiérarchisé : le masculin vaut plus que le féminin. Il est par ailleurs hiérarchisant, car en appliquant ces normes et en « performant le genre », clive de manière hiérarchique les rôles, les places, les rapports entre les femmes et les hommes. Le genre dénit les rôles de sexes et les stéréotypes les légitiment en les naturalisant.
Ces normes de sexe produisent un impact sur l’orientation. L’orientation concerne les politiques, les procédures, les pratiques et outils et les conduites. S’agissant des politiques, on a commencé seulement en 1984 avec une première convention à se préoccuper de la division sexuée de l’orientation, mais uniquement via celle des filles vers les sciences et techniques. Depuis 1984 plu- sieurs conventions ont été signées. Elles ont été peu productrices : nous en sommes actuellement à la cinquième. Jusqu’à la convention de 2000, les actions ont été ciblées sur les filles (les garçons eux, s’orientent bien et ne feraient pas des choix d’orientation dépendants des stéréotypes). Il faut également noter une surestimation de l’information. La non mixité des filières serait surtout due à un manque d’information. Enfin, ces textes sont très souvent seulement incitateurs.
Les procédures d’orientation consistant à demander, en premier lieu, le vœu des familles, et ensuite au conseil de classe d’émettre son accord ou non avec ce vœu, favorisent les processus d’autocensure En 1997, Marie-Agnès LABOPIN a montré dans sa thèse comment ces procédures d’orientation favorisaient le moindre accès et des filles et des garçons de classes défavorisées à la première scientifique, toutes choses étant égales par ailleurs au niveau de leur parcours et performances scolaires.
Avec Rodrigue OZENNE (2015), nous reprenons cette
étude depuis trois ans. Nous avons travaillé sur un échantillon de 2 300 élèves de sept établissements de Paris et quelques autres dans les régions. Nos résultats montrent que lorsqu’un garçon obtient un 10/20 de moyenne dans les matières scientifiques, il a une probabilité à 41 % de demander la première S, et une fille 27 %. Cet écart commence bien en deçà de 10 de moyenne, et se prolonge dans les notes élevées. L’équivalence entre les garçons et les filles ne s’établit qu’autour de 16 de moyenne. Ces phénomènes d’auto-sélection sont rarement compensés : il est rare qu’un conseil de classe propose une orientation qui n’a pas été demandée.
En ce qui concerne les outils et pratiques, les questionnaires d’intérêts mentionnent des noms de métiers au masculin singulier. Un professeur principal ou conseiller d’orientation psychologue encouragent-ils les choix atypiques d’un garçon ou d’une fille ? Ou expliquent-ils plu- tôt à une fille toutes les difficultés à venir, et ne portent- ils pas un regard parfois soupçonneux sur un garçon souhaitant exercer un métier majoritairement exercé par des femmes ?
Les stéréotypes et les normes de sexe avec lesquels se construisent les adolescentes et les adolescents, ont un impact très important sur les projets d’orientation. Ils affectent la construction identitaire, les intérêts et les sentiments d’efficacité personnelle. Les sentiments d’efficacité personnelle sont sexués : les filles et les garçons se percevant plus compétents en moyenne pour les champs, les disciplines scolaires, et les domaines d’activités connotés comme « masculins » pour les garçons et « féminins » pour les filles. Ils sont ainsi un facteur important de la division sexuée de l’orientation.
Lors des choix d’orientation, il y a enjeu et mise en jeu de l’identité sexuée. Par leurs choix d’orientation, filles et garçons apportent la preuve à eux ou elles-mêmes ainsi qu’aux autres qu’elles et ils sont bien des filles « féminines » ou des garçons « masculins ». Les choix d’orientation sont des « performances du genre » comme l’a dé ni Judith Butler (1990). En transgressant les prescriptions du genre, les garçons encourent une double disqualification : identitaire, car n’étant plus considérés comme de « vrais » garçons, masculins, hétérosexuels et sociale, car optant pour des domaines de formation et des métiers moins valorisés. Les filles, en choisissant des domaines investis par les garçons et les hommes, se confrontent à une double contrainte, qui les amène à ce que j’appelle des contorsions identitaires : elles sont tenues de démontrer qu’elles possèdent les mêmes compétences que les garçons, tout en restant des filles/ femmes féminines.
Pour finir, je rejoins la conclusion de Brigitte GRESY sur la possibilité de dépasser le genre. Initialement, des caractères biologiques nous assignent comme des garçons et des filles. Où que l’on se situe, on doit pouvoir se projeter dans l’univers des possibles humains. Il convient de désexuer les caractéristiques des personnes et les activités humaines. Il n’existerait plus de « féminin » et « masculin », mais des singularités indépendantes de la particularité biologique dédiée à la procréation. Imaginez l’espace de liberté et de diversité pour chacun
et pour chacune. Cela suppose de débarrasser les pratiques pédagogiques de la conception stéréotypée du masculin et féminin et des explications par la nature des différences de sexes qu’on observe au quotidien. Nous sommes donc toutes et tous concerné-e-s.


Françoise VOUILLOT
Enseignante-chercheuse à Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle-Conservatoire national des arts et métiers (INETOP-CNAM), membre du HCE F/H


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