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Gaël Pasquier : La construction de l’égalité des sexes à l’épreuve de l’école

mardi 23 avril 2019, par Lionel 3

Gaël Pasquier, maître de conférence en sociologie, signe un livre (Construire l’égalité des sexes et des sexualités, PUR) sur les enjeux de l’éducation à l’égalité des sexes au sein de l’école. Contrairement à la pensée dominante, l’école n’est pas seulement le lieu où se reproduisent, voir se cristallisent, les inégalités entre les sexes. Elle joue un rôle majeur dans la construction des inégalités sexuées. Un livre qui ouvre des pistes de réflexion pour construire l’égalité des sexes mais aussi l’égalité des sexualités.

Pensez-vous que l’école ne construit pas l’égalité des sexes ?

L’école a encore trop souvent tendance à considérer qu’elle propose aux élèves, quel que soit leur sexe, des expériences, des enseignements et des savoirs égalitaires sans prendre la peine d’interroger sérieusement l’effectivité de ce postulat. Les recherches qui le démentent sont pourtant aujourd’hui nombreuses.

La difficulté vient peut-être d’une situation qui paraît difficile à déchiffrer et peut sembler paradoxale. D’un côté, les filles réussissent mieux que les garçons alors que les enseignantes et les enseignants, les supports et les savoirs scolaires se préoccupent moins d’elles. Mais le corolaire de ce constat est une forme d’invisibilité de l’échec scolaire de certaines d’entre elles, souvent de milieu populaire. Par ailleurs, elles ne tirent pas profit de leur réussite sur le marché du travail.

De l’autre, les garçons bénéficient d’un temps de parole plus important, de plus d’espace dans la cour de récréation et de modèles valorisés et diversifiés dans les manuels et les savoirs scolaires mais cette attention a aussi un revers : ils sont plus sanctionnés, d’autant que certains d’entre eux construisent des formes de masculinités en rupture avec l’école que les réactions des enseignantes et des enseignants ont tendance à renforcer.

Par ailleurs, même si les médias aiment souvent titrer sur l’« échec scolaire des garçons » qu’il s’agirait de « sauver », ce ne sont pas tous les garçons qui connaissent des difficultés scolaires mais essentiellement des garçons de milieu populaire. Se préoccuper d’égalité des sexes, mais aussi d’égalité des sexualités, nécessite de prendre en compte cette complexité ce qui n’est pas toujours simple.

Pourquoi un tel livre ?

Mon travail de recherche s’appuie sur les recherches importantes en éducation, de Nicole Mosconi, Marie Duru-Bellat, Claude Zaidman, ou plus récemment Isabelle Collet, qui ont décortiqué depuis les années 80 la manière dont l’école reproduit et produit les inégalités entre les sexes. Durant cette période l’institution semblait se désintéresser de cette question, ce qui n’empêchait pas les grandes déclarations de principe.

J’ai voulu m’intéresser aux enseignantes et aux enseignants du premier degré, qui souhaitaient en quelque sorte « renverser la vapeur » et construire des pratiques égalitaires vis-à-vis de leurs élèves et avec leurs élèves. Il s’agissait pour moi de considérer ce qu’elles et ils mettaient en œuvre lorsque l’égalité des sexes était posée comme un projet et non comme quelque chose de déjà là. Sur quoi agissaient-elles et ils ? Que mettaient-elles et ils en place ? Comment les enfants réagissaient et se saisissaient, ou non, de cet enjeu ? Quelles pouvaient éventuellement être la réponse des parents et de leur hiérarchie ? Ici encore, la situation est paradoxale. Même si ces enseignantes et ces enseignants appliquent les textes officiels de l’Education nationale qui demandent à ses personnels depuis plus de trente ans de se préoccuper d’égalité des sexes, elles et ils sont encore minoritaires et peuvent bien souvent faire figure de militants.

J’ai par ailleurs voulu associer à ces professeurs et professeures des écoles qui se préoccupaient d’égalité des sexes, celles et ceux qui travaillaient sur l’égalité des sexualités, c’est-à-dire pour reprendre la formulation utilisée par l’Education nationale, à la lutte contre l’homophobie. Il me semblait important d’envisager la manière dont ces enjeux pouvaient ou non s’articuler dans leurs préoccupations.

Construire l’égalité des sexes suppose en effet de questionner les normes et les rôles de sexes traditionnels. Pourtant, le cadre hétéronormatif que propose l’école est rarement interrogé alors que des questions très concrètes en découlent. On l’a encore vu récemment concernant la manière dont devaient être formulés les documents d’inscription à l’école et les fiches de renseignements concernant les élèves. Comment prendre en compte la diversité familiale ? Non seulement les familles hétéroparentales et homoparentales mais aussi les familles monoparentales, séparées les enfants élevés par leurs grands-parents, en famille d’accueil ou encore un ou des proches ? Faut-il prévoir une case « père » et une case « mère », ou des cases « parents 1 », « parents 2 » au risque de donner un rang aux parents ? Ou encore deux cases « père ou mère » et « père ou mère » comme semble actuellement l’envisager le gouvernement ? Mais les enfants qui ne sont justement pas élevés par leurs parents ne seront alors pas pris en compte. Ou plutôt prévoir deux cases « parents et/ou responsable légal » côte à côte, comme nous le proposons avec Naima Anka Idrissi et Fanny Gallot dans le livre « Enseigner l’égalité filles garçons ». Ce qui est intéressant ici c’est que ce sont des enjeux portés par des familles homoparentales qui permettent de souligner le peu de prise en compte de la diversité familiale par l’Education nationale. Ce sont des enjeux importants car ils conditionnent la manière dont ces familles, et donc leurs enfants, se sentent accueillies par l’école.

Peut-on enseigner l’égalité des sexes ? N’est-ce pas plutôt le comportement modélisant de l’enseignant qui le permet ?

C’est tout l’enjeu de ce livre ! Une analyse un peu rapide de la situation peut laisser croire que l’école n’est pas responsable des inégalités qui se perpétuent en son sein mais que celles-ci sont dues aux élèves qui ont été socialisés différemment et de manière inégalitaire dans leur famille en fonction de leur sexe et rejouent à l’école ces rapports de pouvoir. Mais en fait, l’école elle-même tient un rôle de premier plan : dans la manière dont est donnée la parole aux filles et aux garçons, l’espace qui leur est accordé dans la cour de récréation et les possibilités de l’investir, les supports qui sont utilisés en classe, les savoirs enseignés.

De ce point de vue, envisager l’école à travers le prisme de l’égalité des sexes et des sexualités, permet de considérer ce qui se passe à l’école sous un jour assez complet. Les propos des enseignantes et des enseignants que j’ai rencontré montrent bien qu’il s’agit à la fois de se préoccuper de la manière dont sont distribuées les interactions en classe afin de proposer un cadre d’enseignement et d’apprentissage qui permette aux élèves de faire l’expérience concrète de l’égalité mais aussi de poser des questions pédagogiques et didactiques essentielles au sein des disciplines scolaires notamment : comment enseigner la grammaire alors même que les règles qui régissent la langue française peuvent être inégalitaires et ont été instaurées pour magnifier la supposée supériorité des hommes sur les femmes ? Comment enseigner une histoire mixte et non pas une histoire qui ne prenne qu’en considération l’expérience des hommes ? Comment faire pour que la littérature de jeunesse ne soit pas qu’un prétexte à débattre de l’égalité des sexes et des sexualités mais prendre en compte avec ces questions de véritable enjeux littéraires ? Comment encore éduquer à la sexualité, adapter sa parole et sélectionner des savoirs selon l’âge de l’enfant ? L’égalité des sexes et des sexualités ne peuvent donc pas être des préoccupations annexes, elles sont au cœur de la professionnalité enseignante et de l’expérience scolaire des élèves.


Voir en ligne : Suite de l’article du Café Pédagogique