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47ème RENCONTRE DU CRIPS du 26 septembre 2002...

mercredi 14 août 2002, par phil

47ème RENCONTRE DU CRIPS du 26 septembre 2002 : La place de l’homosexualité dans l’éducation sexuelle en milieu scolaire

Comment parler de l’homosexualité en milieu scolaire, mais surtout comment intégrer cette question de l’homosexualité dans celle plus globale du rapport à l’autre ? Quelle est la place de l’homosexualité à l’école ? Tels étaient notamment les thèmes abordés lors de la 47ème rencontre* organisée par le Crips Ile-de-France sur la "Place de l’homosexualité dans l’éducation sexuelle en milieu scolaire". Une rencontre qui a notamment permis de montrer qu’à l’heure où on n’a jamais autant entendu parler d’homosexualité dans les médias, les jeunes homosexuels continuent à vivre au quotidien dans la honte de leur sexualité et que l’homophobie dont ils sont toujours victimes les pousse à se retrancher dans des comportements à risque. D’où l’importance d’agir sans attendre et de créer des lieux de dialogue où ils puissent s’exprimer.


 L’homosexualité à l’adolescence
 Prise en compte de l’homosexualité en milieu scolaire

 Intervention de la salle

 Les rencontres du CRIPS sont organisées avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales d’Ile-de-France Novembre 2002 47ème RENCONTRE DU CRIPS La place de l’homosexualité dans l’éducation sexuelle en milieu scolaire

 L’homosexualité à l’adolescence

Présentant une enquête réalisée en 1994(1), Brigitte Lhomond, sociologue au CNRS, a tenté de décrire les comportements des jeunes qui déclarent une attirance ou des pratiques sexuelles avec des jeunes du même sexe. Réalisée auprès de 6182 jeunes (3344 garçons et 2837 filles) âgés de 15 à 18 ans, "la tranche d’âge qui représente tout ce moment de la construction" de la personnalité, cette étude concerne un échantillon représentatif des jeunes vivant en France métropolitaine, dans tous les types d’établissements (LEP, CFA, établissements d’enseignement général publics et privés sous contrat...) et montre qu’environ 6% des jeunes (autant garçons que filles) déclarent une attirance -quel que soit son degré- pour le même sexe. "Des jeunes qui sont conscients de cette attirance et sont prêts à l’assumer, ce qui en soi est déjà une démarche", comme le souligne la sociologue.

 Parmi ces 6%, les trois quarts des filles et environ la moitié des garçons déclarent cependant une attirance pour l’autre sexe. "Il ne s’agit donc pas de jeunes homosexuels identifiés et se revendiquant comme tels mais de jeunes qui sont prêts à dire que les personnes de même sexe sont des personnes pour lesquelles ils ont une attirance d’une manière relativement labile".

 Une variable qui va, selon Brigitte Lhomond, "avoir une importance fondamentale sur la manière dont ces jeunes vont entrer dans la vie sexuelle et les interactions amoureuses, pour la majeure partie d’entre eux dans l’hétérosexualité". De fait, seuls 1% des jeunes interrogés déclarent des pratiques sexuelles avec une personne du même sexe, "sûrement les jeunes les plus affirmés" dans leur orientation.

 "Ce qui caractérise l’entrée dans la vie sexuelle, reprend Brigitte Lhomond, c’est le premier baiser vers 14 ans et le premier rapport sexuel vers 17 ans, avec entre les deux, le "flirt", cet apprentissage progressif des relations affectives et sexuelles avec des gens de l’autre sexe. Autrement dit l’apprentissage de l’hétérosexualité, de la diversité des partenaires, des relations et des rapports sexuels auxquels l’ensemble des jeunes sont confrontés." Les jeunes homosexuels ne connaissent pas ce temps d’apprentissage avec des personnes de même sexe ; ils et elles ont soit des relations platoniques, soit des rapports sexuels. On ne trouve pas un temps de flirt homosexuel, explique la sociologue.

Toujours selon cette même enquête, les garçons attirés par les garçons entrent, par ailleurs, plus tard dans les rapports (le premier baiser a lieu beaucoup plus tard) que les filles attirées par les filles qui, elles, y entrent beaucoup plus vite, plus tôt même que les garçons attirés par les filles. Donc des garçons plus timides et des filles un peu plus en avance, "rebelles", d’autant qu’elles sont plus consommatrices d’alcool, de tabac et de cannabis.

En ce qui concerne les sentiments qui poussent au premier rapport sexuel, 62% des filles se déclarent mues par l’amour mais elles sont moins de la moitié dans ce cas lorsqu’elles sont attirées par les personnes du même sexe. Par ailleurs, 4% des filles qui sont attirées par l’autre sexe et 13% de celles attirées par le même sexe déclarent avoir été forcées à leur premier rapport. "On constate donc une sur-représentation de ces jeunes par rapport à certaines difficultés", conclut Brigitte Lhomond.

 Une analyse partagée par Eric Verdier, responsable de la prévention et de la formation à Adissa, qui s’est, pour sa part, plus particulièrement intéressé au risque de suicide qui représente la seconde cause de décès chez les 15-24 ans, la première chez les 25-34 ans.

 Différentes études américaines et anglo-saxonnes montrent, en effet, un risque accru de tentative de suicide durant l’adolescence et la pré-adolescence chez les lesbiennes, les bisexuels et les gays puisque les garçons homo ou bisexuels présentent un risque 4 à 7 fois plus grand que les hétérosexuels, et les filles homo ou bisexuelles, un risque 40% supérieur à celui des filles hétérosexuelles. "L’orientation homo ou bisexuelle accroît donc les risques suicidaires parmi ces populations qui ont, par ailleurs plus de comportements à risque ", souligne Eric Verdier qui précise que certains "chercheurs ont également mis en évidence que le fait d’avoir subi l’expérience de la discrimination dans 3 domaines (homophobie, racisme et pauvreté) entraîne des effets nuisant à la santé mentale des individus qui les subissent."

"De nos jours, poursuit-il, l’homosexualité tend à devenir non seulement une des options possibles de la sexualité, mais aussi une sexualité dans laquelle l’individu peut s’épanouir dans sa totalité. Constater que les jeunes homo-bisexuels sont plus à risque de développer des conduites suicidaires pourrait donc renforcer l’association possible entre homosexualité et pathologie mentale."

 Or, selon Eric Verdier, "les enquêtes américaines s’inscrivent en faux contre une telle approche et mettent davantage l’accent sur l’effet des comportements discriminatoires à l’encontre des jeunes ayant une orientation homo ou bisexuelle". Mais ces résultats sont "à lire avec précaution car la situation des jeunes homo et bisexuels dépend fortement du contexte national et certaines régions américaines sont particulièrement homophobes. "

 Qu’en est-il de la France à propos de laquelle l’intervenant n’a pu que regretter le "manque flagrant" de données ?

Selon le directeur du centre Abadie de Bordeaux qui accueille chaque année quelque 400 jeunes ayant tenté de se suicider ou en danger de le faire, 2500 des garçons et environ 10% des filles se déclareraient homosexuels.

 Dans une analyse de l’enquête presse gay 2001, Philippe Adam (InVs) constate, par ailleurs, 43% de dépression chez les moins de 20 ans ayant répondu au questionnaire, tandis que 27% de ces mêmes moins de 20 ans déclarent au moins une tentative de suicide (environ 15% chez les plus de 35 ans). Tous âges confondus, on passe de 23% à 32% de dépressions dans l’année et de 16 à 26% de tentatives de suicide en corrélant ces chiffres au rejet parental. Des chiffres qui sont également majorés (40% de dépressions et 31% de tentatives de suicides) lorsque les personnes ont vécu une agression homophobe.

Présentant 13 entretiens menés avec des hommes et des femmes homosexuels, âgés de 20 à 65 ans et de milieux sociaux différents, interrogés sur "le degré d’homophobie intériorisé, c’est-à-dire par rapport à un cheminement qui va du déni total (stade 1) au tout début de l’adolescence à l’acceptation (stade 4)(2), en corrélant chacun de ces stades au risque suicidaire (faible quand on en a l’idée, moyen lorsque la personne commence à l’élaborer un plan d’action, fort quand le passage à l’acte est immédiat ou passé)", Eric Verdier précise enfin que "c’est le stade 2, qui représente l’intériorisation de l’oppression, qui est sur-représenté au niveau du risque suicidaire majeur, du début de l’adolescence au début de la vie adulte."

Une enquête qui lui suggère, en outre, deux remarques : "la façon dont les hommes et les femmes parlent du vécu de l’homophobie est très différente : les garçons parlent beaucoup plus d’homophobie active, exprimée sous forme d’actes et d’injures alors que pour les femmes, elle est beaucoup plus passive. Or, le risque de suicide est largement supérieur chez les garçons que chez les filles. Enfin, dans tout ce qui est présenté comme facteur déclenchant, l’absence de protection dans le milieu scolaire, d’interventions d’adultes qui sont censés être protecteurs et sécurisants notamment vis-à-vis des injures, a pesé beaucoup plus que les agressions en tant que teIles."

 Pour Serge Hefez, psychiatre, fondateur d’Espas(3), un lieu spécialisé pour les personnes touchées par le VIH, qui s’est peu à peu ouvert aux jeunes gays venus s’interroger sur leur rapport à la sexualité et à la prévention, "ceci éclaire ce que la clinique nous montre tous les jours."

Et le psychiatre de livrer "quelques réflexions à bâtons rompus. Tout d’abord, l’histoire de Damien, 19 ans, qui vient quelques jours après avoir appris sa contamination par le VIH. Une histoire tristement banale d’un jeune provincial qui, après avoir vécu douloureusement dans le secret son homosexualité en province, est "monté" à Paris un an plus tôt pour pouvoir vivre sa sexualité. Il découvre le monde de la fête et se retrouve pris dans un tourbillon d’excitation qui a complètement submergé ses possibilités de réflexion par rapport à ce qu’il avait envie de vivre. Une des premières phrases qu’il a dites à propos de sa contamination, c’est "maintenant, je vais pouvoir arrêter" sous-entendue cette sexualité-là."

 Pour Serge Hefez, les jeunes gays sont ainsi pris dans un double système de représentation : l’homosexualité socialement acceptée (on peut être maire d’une grande ville, acteur de cinéma, participer au Loft en déclarant ouvertement son homosexualité). Des représentations qui, en 20 ans, ont fait un bond considérable "mais, en même temps, poursuit-il, ces jeunes continuent à vivre au quotidien cette tragédie du déni de leurs émotions, du déni de leur propre identité, de la honte de leur sexualité...

Comme si le changement des représentations sociales rendait le phénomène encore plus étrange : vivre au quotidien quelque chose d’impossible, dans le secret et la dissimulation de quelque chose qui n’est plus censé être un problème sur le plan social. Damien est en cela exemplaire : on saute d’une identité à l’autre." Une pseudo-acceptation sociale de l’homosexualité qui fait aussi que "la tension créée par les revendications homosexuelles et par la lutte contre l’homophobie. tend à s’abraser."

Sans parler du rapport entre le développement social et le développement psychique, victime, selon Serge Hefez, d"’une confusion qui tient à notre culture : toute cette question sociale de la construction identitaire, de l’homophobie, de la honte sociale est très peu développée dans les travaux psy qui concernent l’homosexualité." "Les psy se sont essentiellement intéressés à la culpabilité", explique-t-il. "Or, la culpabilité, c’est un sentiment fortement intégrateur, c’est ce qui nous permet de nous opposer, de lutter et de créer un champ de tensions qui nous permet de grandir. La honte sociale est un sentiment qui est totalement désintégrateur et qui ne permet aucune construction psychique, un sentiment qui exclut les individus par rapport à leur environnement."

 Ainsi, si l’homosexualité ne pose pas de problème au niveau du développement psychique, l’intériorisation de l’homophobie peut, elle, poser d’énormes problèmes, le risque étant de finir par se haïr soi-même. Pour Serge Hefez, il y a "beaucoup à apprendre de ce travail actif sur cette question de la honte sociale, autrement dit, on a à se placer réellement dans une position qui serait intermédiaire entre une position communautaire d’accueil des personnes et une position rigoureusement psychique qui ne fait appel qu’aux trajectoires individuelles."

"Le malentendu, reprend-il, c’est de cantonner l’homosexualité à la sexualité. Ce n’est pas une question sexuelle, c’est bien plus vaste, c’est l’ensemble des rapports affectifs, des questionnements relationnels que les enfants se posent. On n’en parle pas non plus dans les familles. Et par rapport à l’éducation, c’est une question beaucoup plus vaste, c’est comment parler de l’homosexualité en milieu scolaire, mais surtout comment intégrer cette question de l’homosexualité dans celle plus globale du rapport à l’autre ?"

Or, comme l’a pour sa part souligné Brigitte Lhomond, "paradoxalement, ce que l’épidémie de sida a provoqué dans les consciences c’est le fait que l’hétérosexualité soit dite. Il y a 30 ans, ce n’était pas si courant de se définir comme hétérosexuel."

1 - Publiée aux éditions La Découverte en 1997, sous le titre " L’entrée dans la sexualité, les comportements des jeunes dans le contexte du sida"

2 - stade 1 : négation : "je ne suis pas homosexuel(le)" stade 2 : intériorisation de l’oppression : "j’ aime un autre homme ou une autre femme. Les personnes homosexuelles sont malades et dépravées (...) Donc je suis malade et dépravé(e)." stade 3 : différence entre soi et les autres : "je sais que je suis homosexuel(le) mais je ne suis ni malade ni dépravé(e), donc je ne suis pas comme les autres personnes homosexuelles" ; stade 4 : analyse critique de l’attitude de la société : "d’autres personnes homosexuelles que je connais ne sont pas dépravées, donc la société a tort et perpétue les mythes".

3 - Espas : Espace social et psychologique : aide aux personnes touchées par le virus du sida.

 Prise en compte de l’homosexualité en milieu scolaire

 Chargé de recherche à la fondation Thiers, Louis-Georges Tin, s’est attaché à décrire la place de l’hétérosexualité dans l’éducation scolaire et du paradoxe de départ qui met en opposition 2 modèles : le modèle innéiste, selon lequel l’hétérosexualité est innée, et le modèle constructiviste selon lequel les enfants sont dès la naissance ambigus, voire pervers, pas complètement achevés. Comme le souligne le chercheur, "l’éducation sexuelle consiste alors à construire l’hétérosexualité de l’adulte et constitue, par là-même, une victoire de la culture contre la nature. Deux modèles complètement opposés en théorie mais qui dans la pratique sont souvent confondus."

 Selon son intervention, l’hétérosexualisation de la jeunesse a connu plusieurs étapes :
 La lutte contre la masturbation qui, potentiellement homosexuelle, représente l’antithèse de la relation avec l’autre. L’onanisme étant considéré comme la cause de toutes sortes de maladies, on lance, au 18e siècle, de véritables campagnes de sensibilisation. L’éducation sur les questions sexuelles passe progressivement du registre familial à l’autorité scolaire.

 La lutte contre les amitiés particulières. En détournant les enfants de l’onanisme (d’une sexualité avec soi-même) par une surveillance scolaire, on multiplie les risques d’amitiés particulières (de sexualité avec d’autres individus du même sexe). "On fuit un mal en tombant dans un pire". Dès le 19e siècle, on met donc des surveillants dans les écoles, les internats. La technique pédagogique se met en place.

 L’imposition de la mixité pour résoudre l’homosocialité des pensionnats. Cette hétérosexualisation de la jeunesse ne s’inscrit pas dans une logique homophobe mais dans une logique hétérosexiste qui tente de faire triompher l’hétérosexualité par l’école.

 Et enfin, la discipline des corps qui devient un des éléments essentiels de la philosophie de l’Etat, l’idée étant que la société dans son entier a une mission vis-à-vis du corps des jeunes. On introduit le sport à l’école afin d’accentuer la virilité naturelle des garçons, avec des pratiques adaptées pour les filles et des biais hétérosexistes extrêmement forts.

"Pour conclure sur la place de l’homosexualité à l’école, reprend Louis-Georges Lin, on dit souvent que cette dernière, étant laïque et universelle, n’a pas à prendre parti sur ces questions, qu’elle n’est ni pour ni contre l’homosexualité, qu’elle n’a pas à en parler, ne doit pas en parler. Mais cette neutralité fallacieuse constitue un leurre au service d’une idéologie rigoureusement hétérosexiste. Une technique qui présuppose comme donnée naturelle ce qu’elle s’efforce en fait d’obtenir. Mais la question véritable de l’engagement de l’école, c’est doit-elle être le lieu de l’imposition d’un ordre symbolique hétérosexiste ou, au contraire, un lieu de lutte contre les préjugés en général, hétérosexistes en particulier ?"

 Chantal Picod, de l’Education nationale. Chargée des formations de formateurs au ministère, précise que "sur le plan institutionnel, l’Education Nationale a fait le choix depuis 7 ans d’une éducation à la sexualité qui prenne en compte les aspects socio-psycho-affectifs, relationnels et biologiques de ce que peut être la sexualité, en essayant d’amener les enfants à une réflexion et à construire eux-mêmes des choix par rapport à leur sexualité." Depuis 1994, deux circulaires ont ainsi été publiées.

"L’école est un espace social, non privé, explique-t-elle, et ses limites sont aussi celles-là : comment parler vie privée dans un espace social en essayant d’être au plus près des valeurs de la République (le droit à la différence, le respect de cette différence, la non violence...) ?"

D’où la mise en place de formations sur ces sujets, "l’idée étant qu’on ne fait pas un cours d’éducation à la sexualité qui ne peut être abordée que dans un groupe de parole, dans une discussion qui n’est pas d’égal à égal car il s’agit d’adultes et d’adolescents. Les adultes ne sont pas là pour apporter des réponses car tout le monde sait qu’il n’y a pas Une réponse. Les réponses vont venir du groupe et peuvent varier d’un groupe à l’autre."

 Des formations qui tiennent cependant toujours compte de "la problématique de l’homosexualité " dans un chapitre spécifique consacré aux "questions difficiles’’ comme la pornographie, les normes, le bien, le mal... "Le premier travail à faire, estime donc Chantal Picod, c’est celui sur les représentations, puis sur ce qu’on sait, les données scientifiques, et enfin sur différentes approches comme le droit à la différence, le sexisme... Afin d’arriver à une acceptation de la différence et d’aider les jeunes qui se sentent orientés vers l’homosexualité à la reconnaître et à l’assumer. Dire aussi que c’est toujours difficile à vivre et qu’il existe des lieux et des gens pour en parler."

 Enseignant et auteur de "Conversations sur l’homophobie, l’éducation comme rempart contre l’exclusion", Philippe Clauzard, a, pour sa part essayé de poser quelques jalons pour que, comme l’écrit Louis-Georges Lin dans la préface du livre, "les enfants d’aujourd’hui ne soient pas les homophobes de demain".

Pas seulement de sensibiliser les élèves, donc, mais aussi les éducateurs, au sens large du terme, à un discours d’ouverture sur l’homosexualité et à une analyse des mécanismes qui font l’homophobie, une étude des effets que l’exclusion provoque.

 Avec pour objectif d’ouvrir de nouveaux espaces de dialogue dans les familles et dans les établissements scolaires, et l’ambition de bousculer les préjugés et les stéréotypes sur l’homosexualité. Autrement dit, un ouvrage didactique sur le respect des homosexuels et le refus de l’homophobie, "pour que les préjugés homophobes cessent d’être la loi."

 "Depuis 1998, explique Philippe Clauzard, le ministère commence à s’intéresser à la question de l’homophobie à l’école. Les choses avancent lentement, timidement, difficilement, mais l’homosexualité reste tabou au nom du respect de certaines valeurs sociales, et tout le problème est là." Une question encore importune et impertinente à une époque où on a pourtant jamais autant entendu parler d’homosexualité dans les médias. Ainsi, pour l’enseignant, "nous ne devons plus dissimuler dans nos écoles cette réalité amoureuse de la rencontre entre 2 hommes ou 2 femmes. Il faut donner visage humain à l’homosexualité, prendre la peine de la réflexion, par exemple en abordant des auteurs homosexuels comme Colette, Rimbaud ou Verlaine, en se demandant si leur homosexualité apporte ou non quelque chose à leur oeuvre." Et de faire part de quelques suggestions pour que "l’éducation soit un rempart contre l’exclusion de la personne différente : il faut oser en parler à l’école, dès la maternelle puis, plus tard, travailler sur la notion des genres masculin/féminin, etc. ; employer des mots simples, dédramatiser au préalable le sujet auprès des parents, faire disparaître tout sentiment de malaise ou de honte d’en parler. Plus largement, inclure la thématique de l’homophobie et de l’homo/bisexualité dans les programmes d’éducation sexuelle, d’éducation à la citoyenneté, d’éducation culturelle. Mais tout cela passe par le ministère, les recteurs, les inspecteurs d’académie et les enseignants." D’où la nécessité, selon lui, de sensibiliser les enseignants dès les IUFM (Instituts de formation des maîtres) via des mises en situation, des jeux de rôle (par exemple, être homosexuel et se faire injurier).

 Enfin, France Lert, sociologue à l’Inserm, a, quant à elle, évoqué les questions posées en termes de santé publique. "La littérature nous montre que les jeunes homosexuels sont un groupe à haut risque en termes de santé, qu’ils présentent un taux important de suicides, de violences sexuelles, d’abus de drogues, et, pour les filles de grossesses non désirées, parce que bien qu’homosexuelles, elles ont aussi des relations hétérosexuelles... L’éducation sexuelle et la prévention doivent s’adresser aux problèmes spécifiques de ces jeunes. Il faut agir sans attendre."

 "Dans l’éducation sexuelle à l’école, explique-t-elle, la réponse vient du groupe. Or, la grande difficulté des éducateurs, c’est que l’expérience de l’homosexualité étant peu fréquente à l’intérieur d’un groupe de 15 élèves (peut-être 1 ou 2 ), ces jeunes ne peuvent pas s’exprimer et ces séances ne peuvent pas résoudre les problèmes qui leur sont propres : faut-il en parler, à qui, quand, comment... On parle de l’homosexualité comme si ça allait de soi d’être attiré par une personne du même sexe, mais Brigitte Lhomond nous a, par exemple, montré l’absence de flirt, d’apprentissage des façons d’être un garçon ou une fille dans les relations sexuelles. Comment va se faire la socialisation à la sexualité de ces jeunes ?"

 Pour France Lert, il importe ainsi aujourd’hui de répondre à 2 interrogations : "Qu’est ce qui doit être fait vers l’ensemble des jeunes avec la diversité de leurs attirances sexuelles, et que doit on créer spécifiquement pour que ces jeunes homosexuels s’emparent de moyens qui leur permettent d’être eux-mêmes et de se protéger en termes de santé ? Il faut dessiner des interventions qui s’adressent à ces jeunes et trouver des lieux -qui ne peuvent être dans l’école- pour qu’ils puissent se protéger, trouver des référents internes ou externes à l’école."

 "Notre responsabilité, a-t-elle conclu, c’est de créer à l’intérieur de l’école des modules de prévention s’adressant à l’ensemble des jeunes pour évoquer la diversité sexuelle qui peut être abordée en groupe, et ailleurs, dans des lieux qui restent à définir, des interventions qui s’adresseraient spécifiquement aux besoins de ces jeunes."


Interventions de la salle :

 Lutter contre l’homophobie :

 Roger-Charles Lebreton (SNES) : Le SNES mène différentes actions et réflexions contre l’homophobie, suite à la convention signée par les syndicats des enseignants du monde entier à Washington, en 1998, dans le cadre de l’Internationale de l’Education qui regroupe 26 millions de syndiqués de par le monde et qui dispose désormais d’un texte demandant de faire en sorte que chaque pays mène des actions contre l’homophobie. Notre responsabilité, c’est de mettre un oeuvre des textes très précis afin de pouvoir agir à tous les niveaux (établissements, départements, académies...) et d’assurer une formation initiale et continue sur ces questions-la dans toutes les disciplines.

 Philippe Castel (groupe de lutte contre l’homophobie du SNES) : L’important, c’est de faire évoluer les choses sur le terrain des valeurs, de la lutte contre les discriminations. La lutte contre l’homophobie en milieu scolaire n’aura pas d’effet sans reprise symbolique au niveau de l’Etat, par exemple avec une proposition de loi. Cela fait partie des débats importants que la société doit avoir.

 Eric Verdier : Il serait beaucoup plus intéressant de définir ce qu’est l’homophobie. Pénaliser les injures homophobes changerait la donne.

 Un partenariat difficile mais possible

 Eric Larré (SOS Homophobie) : Nous avons fait un dossier qui va être envoyé à tous les rectorats pour présenter notre association et éventuellement pouvoir intervenir en milieu scolaire. Nous sommes déjà intervenus dans un établissement de la région parisienne pour parler de l’homophobie. C’est en train de se mettre en route, mais il nous faudrait l’agrément du ministère de l’Education nationale de façon à pouvoir intervenir officiellement.

 Dominique Veillant (Couleurs gaies, Moselle) : En province, il est très difficile de travailler avec l’académie, le rectorat et plus encore avec les services de santé qui sont extrêmement réticents pour aborder la problématique de l’homosexualité. Nous avons conçu une mallette pédagogique de 11 fiches pouvant être utilisées dans différentes disciplines (français, philosophie, droit, histoire...), intitulée "vivre ses différences ou comment parler de l’homophobie", et qui a été testée pendant un an au lycée Schumann de Metz. Parallèlement à cela, Couleurs Gaies a distribué une plaquette d’information présentant les principales lignes d’écoute nationales et locales, et notamment des lignes spécifiques comme SOS Homophobie ou la ligne Azur. Donc, bien qu’il soit difficile de travailler avec l’Education nationale, c’est possible.

 Olivier Nostry (Ex Aequo, Reims) : J’aimerais bien que l’Education nationale fasse appel aux associations pour participer à cette éducation à la sexualité et à la vie affective, que les établissements puissent faire appel à des intervenants extérieurs. Nous avons demandé l’agrément, on nous l’a refusé.

 Véronique Soulier (David et Jonathan) : Nous avons commencé à travailler en milieu scolaire et la plupart des demandes proviennent d’établissements d’enseignement privé. Les jeunes sont surpris d’entendre des adultes et des jeunes raconter leur propre expérience. Les homosexuels sont les plus à même pour parler de ce qu’ils ressentent. Quand pourrons-nous travailler ensemble ?

 Chantal Picod : Ressaisissez-vous des textes parce que la possibilité de travailler en partenariat, de travailler avec des intervenants extérieurs, existe dans les textes. C’est donc possible. Mais il faut absolument que les équipes internes soient formées pour pouvoir assurer la suite de ces interventions. Ce qui est fondamental, c’est la formation des personnes et la formation commune.

 Les lieux à créer

 France Lert : Il est aussi nécessaire d’avoir des lieux où ces jeunes puissent s’exprimer entre eux parce qu’il y a aussi ce besoin de faire communauté, de faire groupe et cela, on l’apprend entre soi.

 Philippe Clauzard : Il y a vraiment nécessité d’ouvrir des espaces de dialogue entre les familles, les éducateurs, les enseignants... pour parler de l’homosexualité et de l’homophobie.

 Didier Jayle : Je voudrais rappeler que le Crips a ouvert en au rez-de-chaussée de la Tour Montparnasse un lieu qui s’appelle le CyberCrips qui fait partie de ces lieux où l’on peut discuter, découvrir, s’informer sur la sexualité, la prévention, mais aussi discuter des problèmes qui peuvent se poser.

 La visibilité des associations

 Yannick Gilon (Degel) : Sur la question de la visibilité des associations en milieu scolaire, je voudrais préciser que Jussieu n’a toujours pas reconnu notre association qui a pourtant plus de 5 ans.

 Carla Boni (APGL) : J’appartiens à la seule association de gays et lesbiennes qui était depuis un an représentée au Conseil supérieur de l’information sexuelle où associations professionnelles, associations familiales, et syndicats sont censés discuter de l’éducation à la sexualité, de l’éducation familiale, de comment conseiller les jeunes... La réponse du nouveau gouvernement a été de nous exclure. On n’existe plus en tant qu’association, on n’est plus des représentants valables et on nous remplace par la fédération française des familles de France et la confédération des associations familiales catholiques, sans doute plus à même que nous pour parler de l’homosexualité !

François Delor devait intervenir au cours de cette rencontre pour évoquer le rôle joué par l’injure homophobe dans la structuration des identités gay et lesbienne. Au début du mois de septembre 2002, nous apprenions son décès à Bruxelles où il vivait. François Delor était psychanalyste et sociologue aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, où il avait créé l’Observatoire socio-épidémiologique du sida et des sexualités. Il était aussi président fondateur de l’association Ex Aequo, chargée de prévention du sida auprès des homosexuels, et avait organisé à ce titre différents colloques internationaux dont l’un avait porté en 1999 sur la vulnérabilité des jeunes gays.

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