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SEREZ-VOUS IN ou OUT à L’ECOLE ?

lundi 7 août 2000, par Andy

Avec la rentrée 2000, serez-vous in ou out ?
Non pas qu’on vous enjoigne d’effectuer votre coming out dans votre établissement. Quoique... Nous savons que la vie d’un prof gay ou lesbienne n’est pas toujours aussi rose qu’on la souhaiterait ; pour preuve les témoignages que nous avons retranscris ; mais une "sortie du placard" peut se faire en filigrane... Ou à grand pas. Sur cette page, vous trouverez l’histoire d’un film illustrant ce propos, des petits conseils pratiques pour faire un "coming-out" réussi en milieu scolaire, des avis, et quelques précisions pour remédier à des situations de discrimination ou harcèlement moral. Faire ou pas son "coming-out" à l’école, that is the question !

 IN & OUT, une histoire de prof gay ( à méditer...)

 L’histoire : Dans une petite bourgade de l’Indiana, Kevin Kline incarne un prof à la vie tranquille à la veille de son mariage. Un soir, il voit cependant sa vie boulversée lorsque est retransmise à la télé la Cérémonie des Oscars. Un ancien élève (Matt Dillon) remercie publiquement son ancien prof si brillant, qui l’a si brillamment instruit et inspiré... et qui est gay ! Consternation générale. Suspicion et diverses interrogations. Médiatisation de l’affaire.

 Commentaires : Si l’homosexualité est un thème cinématographique à la mode, le réalisateur Franz Oz nous plonge, non pas dans les milieux branchés urbains mais en pleine amérique profonde avec un quidam (notre prof Kline) qui découvre son orientation sexuelle en même temps que le spectateur. Le cinéaste opte alors pour la légèreté, le comique et la fantaisie fuyant ainsi le simple pamphlet social. Pourtant ce film aurait pu dénoncer avec davantage de force la situation des profs gays américains qui se voient renvoyés parce qu’ils ont avoué leur homosexualité. Ce film a néanmoins le mérite d’explorer les stéréotypes et les idées toutes faites que les gens se font sur les gais et les lesbiennes, il nous confronte à nos propres croyances et préjugés sur les questions de genre et d’orientation sexuelle. Avec ruse et humour, ce film explore ce que nous partageons ensemble comme lieux communs, et nous dit comment petites sont les différences. Voyons la scène de "re-masculanisation" de Kevin Kline. Il est présenté les vrais discriminations et préjugés auxquels les homosexuels peuvent être confrontés au travail, dans la vie quotidienne, dans sa petite ville.

 Point de vue (sur le film) : Nous autre, enseignants homos savons que contrairement à "In et Out", les profs gays ou lesbiennes doivent se censurer, réprimander leur façon d’être, contrôler leurs propos et attitudes, et surtout dissimuler leur orientation sexuelle. Ce film peut-il permettre de diffuser le message que les profs homos peuvent être aussi de précieux modèles pour la jeunesse ( homo et hétéro), pour la population en apprenant l’importance de la diversité ; sachant que cette dernière peut apporter beaucoup à la communauté dans laquelle ils vivent... N’est-il pas aussi une leçon sur le respect que méritent des personnes aux sensibilités autres... Malheureusement, nous doutons de l’impact réel que ce film puisse avoir sur le grand public. Si la burlesque fin du film est amusante et prête encore à sourire en sortant du cinéma ( ce coming-out généralisé, du type "aimons-nous tous dans un monde de tolérance"), elle ne peut vraisemblablement plonger dans un abîme de réflexions le spectateur ; celles qu’aurait dû creuser davantage le film (sans perdre de sa verve pétillante), c’est-à-dire la notion de genre et d’orientation sexuelle, la révélation à soi et aux autres de son homosexualité, la situation et les implications d’un prof homo dans un établissement scolaire, le statut de l’homosexualité dans les programmes scolaires. Ce film ne sera donc pas le levier d’une possible prise de conscience du grand public, ni d’une identification des profs gays ou lesbiennes à ces questionnements hautement politiques. Mais, n’est-ce point un début ? Le cinéma a osé mettre en scène les tribulations d’un prof gay ( qui n’est pas pédophile, ouf !), ça , c’est nouveau...

 ETRE OUT ou IN CETTE ANNÉE SCOLAIRE ?

 Nous n’avons pas de mot d’ordre. La décision de faire ou pas son coming-out est trop personnelle. Elle met en jeu : vous et votre force mentale, vos valeurs professionnelles, vos réseaux de soutien amical ou familial. Après votre coming-out, il est certain que vous ne serez plus perçu de la même façon par votre entourage professionnel et privé. Quelles qu’en soient les répercutions, ne plus dissimuler ce que l’on est, libère. Une énergie nouvelle est disponible grâce à la liberté qu’on s’est autorisé à utiliser. C’est avant tout une question d’autorisation. S’autoriser à braver une tendance à l’autodépréciation de soi et son homosexualité. S’autoriser à être ce que l’on est sans faux fuyant. S’autoriser à braver les bonnes consciences et les coutumes. S’autoriser à affirmer que l’hétérocentrisme de votre milieu professionnel est relatif ( peut-être n’êtes vous pas seul ? n’y a t-il pas toujours un autre prof homo proche de son estrade et de son tableau ?). Bref, il s’agit de s’autoriser à une liberté d’être retrouvée. Cela n’est possible que lorsque soi même et notre environnement sont prêts. Confiance, assurance, paix et sérénité des lieux. Mais avant toute chose, il semble nécessaire de se confier à quelques personnes choisies pour leurs qualités humaines (phase n°1), ces collègues qui vous paraissent pas comme les autres et réagiront bien lorsque les mots seront dits. Ces collègues deviendront vos meilleurs alliés lorsque vous passerez éventuellement à la phase 2 : révéler son homosexualité à l’ensemble du personnel éducatif. Cela veut-il dire "conférence de presse" ? Certes pas , mais des dialogues croisés, des banalités sur votre vie quotidienne, votre dimanche passé avec votre amour de même sexe, eh oui vous l’avez dit, vous chinez tous les dimanches matins avec votre petit ami, votre petite amie... j’aime les hommes/ j’aime les filles. Cela peut sembler simple, une fois l’aveu (quel horrible mot !) passé. Tout reste à consolider avec la phase 3 : assumer ce que l’on est dans les discussions, les gestes, les regards. Oui, est-il facile d’évoquer votre "voyage de pacs" aussi naturellement que les fiançailles de la jeune collègue qui vient d’être nommée ? Ainsi le coming-out n’est pas une phase, mais plutôt le déclencheur d’une nouvelle démarche continue d’affirmation de soi, de son homosexualité. Du courage sera exigé, et à renouveler autant que nécessaire... Philippe.

 Réponse de Lambda Éducation :

Est-il souhaitable qu’un enseignant s’affiche en tant qu’homosexuel ? - Il serait bienvenu que les enseignant-e-s gays et lesbiennes s’assument, afin de briser le cercle vicieux de l’homophobie qui nuit aux jeunes, mais qui leur nuit aussi à eux enseignants. Afin de donner des modèles vivants de ce que peut être une personne homosexuelle. Il n’est pas aisé de briser les tabous, et le milieu scolaire et parental est plutôt hostile. Si les enseignant-e-s homosexuel-le-s ne risquent rien en théorie en faisant leur coming out (Art. 8 Cst.), il n’en va pas de même en pratique. Du moins ce sont les préjugés qui prévalent. En fin de compte, que "risque"-t-on vraiment si ce n’est être soi-même ? La visibilité reste le seul et le meilleur moyen de légitimation de cette forme d’amour. Chacun est seul responsable pour tous.

 RÉPONSE DE MICHEL FOUCAULT :

"Les professeurs qui, pendant des siècles, ont enseigné aux enfants combien l’homosexualité était intolérable et qui ont purgé les manuels de littérature, falsifié l’histoire afin d’en exclure ce type de sexualité, ont causé plus de ravages que le professeur qui parle d’homosexualité et ne peut faire d’autre mal qu’expliquer une réalité donnée, une expérience vécue." Michel Foucault, une citation extraite des pages web de Lambda Education, j’y vais

 REPONSE DE DAVID HALPERIN (paru dans "Saint-Foucault").

Fier de son coming-out qui agita un temps son université, David Halperin se rendit compte des effets néfastes de celui-ci sur ses recherches universitaires. S’il gagna le respect, voire la sympathie de ses collègues, il lui apparût que ses travaux furent compris par le monde universitaire au travers du seul prisme de son homosexualité . N’affirmait-il pas cela ou bien ne théorisait-il pas cela car il était gay ? Son affect n’influe t-il pas ses recherches ? David Halperin écrit dans son ouvrage récemment traduit en France : " J’avais pensé que le coming out permettait précisement d’ôter aux autres leur point de vue privilégié sur moi et ma sexualité ; le coming out m’avait semblé être le moyen d’en retirer aux autres l’initiative et de récupérer à mon compte le droit et la possibilité d’interpréter le sens de mes paroles et de mes actions. Hélas, je découvris à mes dépens que, dès lors que vous êtes connu comme homosexuel, cette visibilité même, loin de vous préserver du ragot venimeux, vous expose au contraire au pouvoir des autres, et notamment à leur pouvoir de dire n ’importe quoi à votre propos, avec l’assurance, d’ailleurs justifiée, qu’ ils seront crus sur parole (et, puisqu’on ne peut à peu près rien faire contre cela, il est inutile d’essayer de se faire bien voir en adoptant un « bon comportement »)." (page 29) David Halperin écrit plus loin (page 45) :" Qu’ est-ce que le placard (la dissimulation de sa propre homosexualité), sinon le produit de relations complexes de pouvoir ? La seule raison d’être dans le placard, c’est qu’on veut se protéger contre les formes, innombrables et violentes, de disqualification qu’on aurait à subir si son identité sexuelle discréditable était plus largement connue. Rester dans le placard, cacher son homosexualité, c’est aussi se soumettre à l’impératif social imposé aux gays par les non gays, et qui consiste pour ces derniers à se protéger non pas tant de la connaissance de l’homosexualité de quelqu’un, mais plutôt de la nécessité de reconnaître la connaissance de l’homosexualité de quelqu’un. Il n’est donc pas possible de considérer le placard comme un espace de liberté (même s’il offre à ses occupants des possibilités qui seraient impensables autrement et leur donne accès à certains des privilèges qui sont réservés à ceux qui se définissent comme hétérosexuels). A l’inverse, s’il y a dans le fait de sortir du placard (to come out of the closet) quelque chose d’une affirmation de soi, quelque chose de libérateur ; ce n’est pas parce que ce geste ferait passer d’un état de servitude à un état de liberté totale. Au contraire : sortir du placard, c’est précisément s’exposer à d’autres dangers et à d’autres contraintes, car c’est faire de soi-même une sorte d’écran sur lequel les hétérosexuels peuvent commodément projeter tous leurs fantasmes à propos des gays. C’est donc devoir supporter que chacun de vos gestes, chacune de vos paroles, de vos opinions, seront entièrement et irrévocablement marqués par les significations sociales accolées à l’identité homosexuelle dès lors qu’elle est affirmée au grand jour. Si sortir du placard est bien le geste par lequel on se délivre soi-même d’un état de non liberté, ce n’est pas parce que cela permettrait d’échapper à l’emprise du pouvoir pour s’installer dans un lieu extérieur à celui-ci. Mais c’est plutôt parce que cela définit un nouvel état des relations de pouvoir et transforme la dynamique des luttes personnelles et politiques. Sortir du placard est un acte de liberté, non pas dans le sens d’une libération, mais dans le sens d’une résistance."—David Halperin, Saint-Foucault, Editions EPEL.