Accueil > ACTUALITÉS SELECTIVES > Diversités bisexuelles : Bisexuels et alors ? de Nathalie Bensahel & (...)

Diversités bisexuelles : Bisexuels et alors ? de Nathalie Bensahel & Bruno Coutier paru dans l’OBS en Avril

mardi 9 août 2016, par Andy

C’est une vanne célèbre, et ancienne, de Woody Allen : Le bisexuel a deux fois plus de chances le samedi soir. Trente ans plus tard, la " bi attitude " n’est plus une blague, c’est une tendance. Certes, tout le monde ne couche pas encore avec tout le monde, mais la bisexualité gagne les esprits, à défaut des chambres a coucher.

 Chez les people,le coming out "bi" est du dernier chic. Gage de style et de modernité. Il y a quelques mois, Heloise Letissier, alias Christine and the Queens, la chanteuse de 27 ans savamment androgyne, a fait sensation sur le plateau d’ "On n’est pas couché" lorsqu’elle a expliqué qu’elle était
"pansexuelle", c’est-a- dire attirée par tous les sexes et tous les genres y compris les trans. Dernièrement, les amours affichées de la jeune actrice américaine Kristen Stewart, l’ex-héroïne de la saga << Twilight », avec la chanteuse française Soko, après une longue liaison avec l’acteur Robert Pattinson, ou celles de la top model Cara Delevingne avec différent(e) s ami(e)s ont définitivement inscrit la bisexualité en tête des critères du cool.
 Au cinéma aussi, cette nouvelle vague d’amours libres a ses références. Cet hiver, le film << A trois on y va » de Jérôme Bonnell mettait en scene l’actrice Anais Demoustier dans une double relation secrète avec l’homme et la femme d’un couple d’amis. Précédemment, le beau long-métrage "la Vie d’Adele" d’Abdellatif Kechiche a troublé plus d’une jeune fille dans ses convictions cent pour cent hétéro. " Quand j’ai vu ‘Adele’, raconte Emilie, en couple avec un garcon, je me suis dit que c’était possible aussi avec une fille.Adéle chavire pour Emma alors qu’elle a un copain. Ce n’est pas lesbien, c’est juste follement amoureux. »
 Signe des temps, dans la vraie vie, les applis de rencontre ont intégré le concept : sur Tinder, à la question Qui aimerais-tu rencontrer ?, on peut rester classique et cocher les cases "homme" ou "femme" mais aussi, en cherchant bien, opter pour l’option "homme et femme".
 Le dernier tabou ? Une nouvelle révolution sexuelle est-elle en marche à bas bruit ? La bisexualité serait-elle le dernier tabou à sauter sous nos yeux ahuris d’homos et d’hétéro-normés ? Peut-être bien... Le phénomène reste difficile a quantifier car il n’est pas a proprement parler étudié. Dans la dernière enquête de l’Ined-Insee sur les parcours individuels et conjugaux, qui date de 2015, tout juste apprend-on la proportion d’individus ayant eu au moins une fois dans leur vie une expérience sexuelle avec une personne du même sexe. Chez les hommes, elle est de 5%. Chez les femmes, elle atteint 7%. "On peut penser qu’elles parlent plus facilement de ce genre d’expérience que les hommes, commente le sociologue Jean- Claude Kaufmann. Notamment parce qu’elles l’assument davantage."
 C’est chez les jeunes que le phénomène semble le plus naturel. Dans les lycées et les facs, se dire bi est devenu monnaie courante. "Je ne qualifie jamais mon orientation sexuelle, explique Violette, 18 ans, en terminale au lycée Claude-Monet at Paris. Quand je suis amoureuse de quelqu’un, si c’est un garçon, c’est bien, et si c’est une fille, ca me va aussi. Il y a deux mois, j’étais avec Mathieu,j’ai rencontré une fille que j ’adore. Pour les grands choix d’avenir, on verra plus tard." (...) " C’est normal pour nous, ça ne fait ricaner personne ou alors ceux qui ricanent passent vraiment pour des ringards", raconte Louise, élève de prépa au lycée Thiers de Marseille. Mais attention : l’idée n’est pas de vivre une << échappée homo >> comme on qualifiait encore ce genre d’aventure amoureuse adolescente il y a dix ou vingt ans, mais de partir de la découverte de soi. C’est en explorant tous les possibles que Pierre, 20 ans, étudiant en cinéma, a compris qu’il était bi. << J ’ai d’abord cru que j’étais homo parce que je regardais davantage les mecs. Mais en grandissant, je me suis mis a aimer aussi les filles et à coucher avec elles. Je n’ai jamais éprouvé de difficultés a avoir des sentiments pour les deux sexes, au contraire, j’adore passer de l’un à l’autre. » Pour le sexologue Jacques Waynberg, cette "folie bisexuelle" s’explique en partie par ce qu’il appelle " l’effet post-mariage pour tous" : < s’est sentie dépassée, la jeune fille a expliqué qu’ "être
bisexuel n’a rien de choquant. Pourquoi choisir un
genre de partenaire avant d’avoir tout essayé ?" C’est
vrai, pourquoi ?
 Avoir une vie sexuelle plus riche, c’est l’autre promesse de la " bi attitude ". En matière de partenaires, mais également de gammes d’émotions. Pendant ses deux années de prépa en école de commerce, Zoé, 20 ans, a eu une histoire d’amour avec sa meilleure amie, << la plus belle de ma vie », dit-elle. Avant, elle avait un copain. Mais, l’été après le bac, elle a fondu pour Louise. << On était sur une plage en Grèce, on a pris un bain de minuit, on s’est enlacées et on s’est
embrassées. Est-ce que c’est une histoire de phéromones
ou de molécules, je n’en sais rien... Avec une fille, on connait bien le corps de l’autre, c’est plus sensuel. Les préliminaires sont souvent plus longs et l’orgasme plus fréquent qu’avec un garçon. Eux, en général, s"intéressent moins au désir de leur partenaire qu’à leur performance. » - Après deux ans à ne jamais se quitter, les deux amoureuses se sont séparées
 " je suis de l’EM Lyon, elle est à Paris, on s’est dit qu’on n’y arriverait pas à distance » -, et Zoé a de nouveau des histoires avec des garçons. Mais ne lui parlez pas d’un
épisode homo transitoire, ça l’agace au plus haut point ; : "Mon identité est mouvante et ça me va très bien." Pierre aussi apprécie cette multiplicité des sensations. << Quand je fais l’amour avec un homme,je connais son corps, je sais ce qu’il peut aimer et comment le toucher ; il y a quelque chose de familier dans cette masculinité, même si aucun mec ne ressemble d’un autre. Avec une femme, il y a tout à découvrir ; à comprendre, c’est plus subtil. »
 Encouragées, rarement mal jugées, les amours entre filles sont peu susceptibles de remettre en question leur féminité. Au contraire. Selon Jacques Waynberg, l’accès massif au porno gratuit en ligne a même installé une nouvelle norme érotique : <<Les mises en scène de femmes qui font l’amour sont systématiques dans les pornos. Cela banalise la pratique bi, comme ce fut le cas pour la sodomie ou l’éjaculation faciale », ajoute-t-il. Assumer leur bisexualité
est donc plus facile. << C’est même un atout, dit Marie, 20 ans, étudiante a Paris, qui sort avec une copine après une longue relation avec un garçon.vQuand on a une histoire avec une fille, on rentre à fond dans le fantasme masculin machiste, voire bourrin, celui qui s’étale à longueur de porno. Les garçons adorent regarder les filles se tripoter et se rouler des pelles dans les soirées, ils trouvent ça très excitant. Ils nous posent des tas de questions et veulent savoir ce qu on fait au lit. Ils nous disent qu’on est modernes et stylées, qu’on est dans l’air du temps. » Chez les
hommes, c’est une autre affaire. Le sujet reste nettement plus tabou.
 << II existe aussi une sexualité entre hommes qui n’est pas homosexuelle, une sexualité d’hétéro au masculin, confirme la sexologue Nadine Ryckwaert, mais elle s’exprime beaucoup moins. Les hommes ont toujours peur que ces histoires portent atteinte a leur virilité de male pénétrant. » Hugo, 27 ans, prof d’histoire a la fac et bi assumé, fait figure d’exception. "J ’ai eu un copain, puis une copine et encore une autre après. Aujourd’hui, je suis célibataire et je ne sais pas sur qui je vais tomber la prochaine fois. » J’ai mis du temps a comprendre”
 Quid des plus de 30 ans ? Passé ce cap, la "bi atti-
tude" reste plus transgressive. Même chez les femmes. Valentine, fonctionnaire de 45 ans, raconte qu’elle n’a pas vu l’affaire lui tomber dessus. Mariée, mère d’un gargon de 15 ans, elle s’est laissé séduire par une collégue de bureau plus jeune qu’elle. "J ’ai mis du temps à comprendre qu’elle me
draguait. Et pourtant, elle me voulait, c’était dément ! Mais la où je me suis surprise moi-méme, c’est que je n’ai pas résisté. J ’ai couché avec elle tres vite, et c’était parfait. » Aujourd’hui, la collègue est devenue sa "maitresse". "Je trompe mon mari avec une femme comme un homme trompe sa femme avec une autre femme." Que fera-t-elle de cette histoire ? " J ’ai découvert un nouveau plaisir ; c’est bon à prendre. " Valentine affirme que cela ne change rien avec son mari. "Au contraire, dit-elle, je pense qu’il en profite
car je me sens plus désirable. " Cela n’a pas été aussi
simple pour Séverine. Depuis qu’elle a eu sa première histoire avec une femme, cette avocate divorcée de 50 ans s’interroge sur ses gouts sexuels et amoureux : " Et si je m’étais raconté des histoires toute ma vie ? Peut-étre que j’ai toujours aimé les femmes tout court. Déja quand j’étais jeune, mon affection allait vers les filles... Ca va devenir compliqué si je dois l’expliquer un jour à mes enfants. » A l’horizon de quelques décennies, les psys, les sexologues et tous les spécialistes de la chose intime prédisent la disparition progressive des categories sexuelles. Au minimum, disent-ils, nous pourrions avoir plusieurs vies avec des partenaires de sexe different.
 Un point de vue qui agace Jacques Waynberg : "Les jeux érotiques multiples ne permettent pas d’investissement. C’est de l’amusement, de l’expérience, de la transgression par rapport aux modèles hétéro et homo dominants, mais au-dela, quel sens donne-t-on a sa vie sexuelle ? La bisexualité est un projet de jouissance, pas un projet de vie." Certes. Mais si les deux étaient compatibles ? Et si nous
étions tous un peu bisexuels sur les bords sans oser
nous l’avouer ? Après tout, Freud affirmait que les
hommes et les femmes naissent tous psychiquement bi et qu’ils se conforment ensuite à la norme qu’on leur impose. Alors pourquoi pas une vie et plusieurs possibilités ?