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Conseils pour une prévention de l’exclusion homosexuelle

dimanche 8 août 2021, par Andy

SCÉNARIOS DE BILL RYAN

 1er scénario :

Tu es dans la cour de l’école pendant la récréation, tu as environ neuf ans. Tu vois un groupe d’enfants qui joue et tu te diriges vers eux. Avant de les rejoindre, tu éprouves des sentiments confus d’espoir et de crainte ; l’un de ces jeunes se moque de toi. Tu hésites un moment, partagé entre le désir de t’avancer et de te retirer. Finalement, ils décident de te laisser jouer. Par la suite, tu fais une gaffe et des camarades te crient : « Tapette ! ». Comme tu ne sais pas ce que cela signifie, tu baisses les yeux, et tu te sens méprisé. Toutes les personnes qui t’entourent commencent à rire de toi.

 2e scénario :

Tu es maintenant plus âgé ; tu as treize ans, et tu es presque un-e adolescent-e. Tout en toi change : ton visage, ton corps et même tes sentiments. Tu te sens différent-e de toutes les personnes que tu connais. Tu ne sembles pas intégré à ton milieu. L’as-tu déjà été ? Même la façon dont tu regardes les gens a changé. Tu te rends compte que tu fixes une personne qui te plaît, jusqu’à ce qu’elle s’en aperçoive soudainement. Alors, tu détournes ton regard, gêné d’avoir été surpris-e. Les autres jeunes ne semblent pas fixer les garçons/filles de la même façon que toi. Tu te sens très différent-e des autres. Quelque chose ne va pas ; tu ne veux pas qu’on le sache, mieux vaut te cacher.

Pendant un cours de science, lorsque les élèves se sont rassemblés autour de la grande table, tu t’es collé-e contre cet-te autre étudiant-e qui t’attire tant. Mais quelqu’un s’en est aperçu et en a parlé. Par la suite, tu as dû affronter des sarcasmes : « Tu es un fif/une lesbienne ! Regardez la tapette/la femme aux femmes ». Tous les regards se sont soudainement portés sur toi ; tu aurais voulu rentrer sous terre et disparaître. Le monde tournait. Tu voulais te tirer de là, t’enfuir, te cacher, mais tu ne pouvais aller nulle part ; tu te sentais piégé.

 3e scénario :

Tu as maintenant quinze ans, et tu as trouvé un-e ami-e intime. Vous allez partout ensemble, vous partagez tout. Tu lui fais part de tes plus grands secrets, et tu te sens plus près de cette personne, à cause de cela. Vous aimez vous toucher et même vous étreindre à l’occasion - lorsque personne ne vous regarde. Tu te sens remué à l’intérieur, tu éprouves une sensation que tu ne comprends pas très bien, ou que tu ne veux pas comprendre. Un jour, vous vous promenez dans la rue, proches, l’un-e de l’autre, sans vous soucier des passants, lorsque tout à coup un groupe de jeunes surgit et commence à crier : « Regardez les homos/les lesbis ! Ce sont des malades ». Tu baisses la tête, accélère le pas. Ni ton ami-e ni toi ne parlez de cet incident. Mais il/elle devient plus occupé, a moins de temps à passer avec toi, t’évite presque. Quelque chose ne va plus, tu ne te sens pas bien, mais ni toi ni lui/elle ne pouvez en parler. Progressivement, un profond silence s’installe. Pour ne plus avoir le sentiment d’être rejeté-e, tu commences à cacher tes émotions même à toi-même.

LA THÉORIE DE LA HONTE SELON TOMKINS

L’être humain est vulnérable à la honte. Chaque personne a déjà éprouvé des sentiments de honte plus ou moins intenses. C’est normal. Il arrive que la honte soit appropriée et nécessaire, alors que parfois elle peut être accablante. Avoir honte, c’est éprouver le sentiment douloureux d’être diminué. Lorsque nous avons honte, nos yeux se tournent vers l’intérieur et nous nous sentons subitement transpercés par le miroir grossissant de notre conscience et du regard des autres. L’impression de mise à nu est la principale caractéristique de la honte ; elle peut provenir des attitudes des autres ou de soi-même. Nous avons honte lorsque nous nous sentons subitement découverts devant un public quelconque, que nous sommes objet de critiques devant d’autres personnes, que nous ne sommes pas à la hauteur des attentes qui semblent légitimes. Nous nous sentons pris au piège. Nous croyons que notre condition attire immédiatement l’attention sur notre visage, notre corps, nos gestes, nos actes, nous exposant davantage, et sans défense, à la vue des autres. Voilà pourquoi nous devenons immédiatement conscients de notre apparence et de notre contenance lorsque nous avons honte. Nous nous sentons subitement livrés aux regards des autres, lorsque nous désirons nous en soustraire. Les trois réactions associées le plus souvent à la honte sont la peur, la détresse et la rage. La peur, qui se traduit fréquemment par l’anxiété, se manifeste dès que l’on appréhende la honte. La personne qui a eu honte craindra des situations similaires à celle où elle a connu ce sentiment. La détresse, quant à elle, peut se manifester par des pleurs. Les enfants et les adultes honteux réagissent souvent en commençant à pleurer : la simple intensité de la honte peut déclencher des larmes. Dans ce cas, l’entourage est généralement attentif aux pleurs et y réagit, mais la honte sous-jacente à ces pleurs peut demeurer inconnue ou méconnue. Lorsque la honte atteint son plus haut niveau, elle peut provoquer la colère ; ce sentiment a une fonction vitale d’autoprotection. À certains moments, la colère isole la personne qui éprouve ce sentiment, elle recouvre son moi mis à nu. La personne en colère refuse de communiquer, parce que son sentiment la porte à se replier sur elle-même et l’éloigne des autres. Par ailleurs, à d’autres moments, la personne enragée par la honte peut provoquer ou désirer une rencontre avec la source de son humiliation, sans autre motif que de se venger. Enfin, la honte alimente la haine de soi et des autres. Elle se nourrit de stigmates et de tabous. Toute personne dénigrée ou humiliée en public est immédiatement stigmatisée. De plus, les gens ne souhaitent pas être associés à la personne humiliée. Pour éliminer le tabou relié à l’homosexualité, nous devons examiner les sources spécifiques de la honte chez les gais et lesbiennes.

SOURCES DE LA HONTE CHEZ LES GAIS ET LESBIENNES

L’homosexualité est un comportement humain traditionnellement stigmatisé. Le système d’éducation, la famille, la formation professionnelle, les tabous sociaux et la mythologie culturelle présentent le plus souvent l’homosexualité comme un comportement indésirable, anormal et le plus souvent tragique. Ces attitudes et valeurs sont profondément enracinées dans la tradition religieuse, morale et légale de notre culture et sont encore dominantes, même si la science et l’éthique actuelles les remettent de plus en plus en cause.
 Les religions : Les théologiens chrétiens du Moyen Âge ont qualifié l’homosexualité de « contre nature », en croyant que les animaux n’avaient pas de comportement homosexuel (ni bisexuel), croyance démentie aujourd’hui, depuis que l’observation des animaux est devenue une science. Selon les anciens, l’homosexualité n’existait pas dans la nature, étant ainsi non conforme aux volontés divines, elle devint un signe de déchéance, une perversion. Même de nos jours, de nombreux programmes d’éducation continuent à omettre l’information pertinente sur la prévalence naturelle de l’homosexualité et de la bisexualité dans le monde humain et animal. Ils contribuent ainsi à conditionner la honte chez les jeunes gais, lesbiennes et bisexuels, à leur faire croire qu’ils sont anormaux. Cette croyance en l’anomalie naturelle de l’homosexualité a fait en sorte qu’on l’a rapidement définie comme un péché mortel. Certaines confessions chrétiennes (mais pas toutes !) considèrent encore l’homosexualité comme un affront grave contre Dieu qui mérite la damnation éternelle. Comme nous vivons dans une culture religieuse, quoique moins pratiquante, la conception de l’homosexualité comme faute morale donne à penser à ceux et celles qui la pratiquent qu’ils incarnent le mal, ce qui ne peut qu’avoir des répercussions négatives sur l’image qu’ont les gais, lesbiennes et bisexuels d’eux-mêmes et la représentation que les autres membres de la société s’en font. Les principales religions du monde occidental ont presque toutes censuré ou banni l’homosexualité. Jusqu’à tout récemment, elles considéraient que l’hétérosexualité était la seule expression naturelle de la sexualité humaine, et rejetaient le comportement “pervers” des gais et des lesbiennes, qu’elles jugeaient indigne d’appartenir à la communauté. Le fait de traiter ces personnes de perverses entraîne forcément des sentiments de haine et d’exclusion. L’homosexualité est ainsi devenue une source de honte dans la plupart des sociétés occidentales parce qu’elle défiait le soi-disant ordre de la nature, les rôles sexuels, et donc les relations sociales traditionnelles. Au dix-neuvième siècle, l’emprise des religions a commencé à décroître, de nouvelles sciences telles la psychologie, la psychiatrie et la sexologie ont entrepris de présenter l’homosexualité comme une maladie mentale plutôt que comme un péché. Jusque dans les années 1960, on a fait subir d’horribles traitements aux femmes et aux hommes homosexuels, sans parvenir vraiment à « guérir » leurs attirances ou désirs sexuels. Ce n’est qu’en 1973, que l’American Psychiatric Association (APA) a retiré l’homosexualité du répertoire des maladies et troubles mentaux (DSM), non sans controverse. Quant à l’organisation mondiale de la santé (O.M.S.) elle a exclu l’homosexualité de la liste des maladies mentales en 1992, au scandale des pays de religions intégristes. Encore de nos jours, une minorité de psychothérapeutes prétendent pouvoir « traiter et guérir » l’homosexualité, sans preuve scientifique toutefois pour appuyer leur prétention. Des organisations religieuses offrent aussi de « soigner » les homosexuels, mais en fait elles se contentent de leur enseigner à mentir sur leur orientation et à adopter des comportements en apparence « normaux », c’est-à-dire approuvés par la société.
 Les lois : En 1969, le Canada a abrogé certains articles de son Code criminel qui avaient pour effet de criminaliser l’homosexualité. La loi « omnibus » a en effet décriminalisé toutes les activités sexuelles entre adultes consentants réalisées en privé. En 1977, le Québec a été la deuxième société dans le monde, après le Danemark, à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle par le biais d’un amendement à sa Charte des droits et libertés de la personne. Huit des dix provinces canadiennes ont maintenant amendé leur Charte des droits de la personne pour interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Les tribunaux ont obligé le gouvernement fédéral, récalcitrant, à interpréter la Charte canadienne des droits et des libertés comme incluant un interdit de discriminer sur la base de l’orientation sexuelle même si celui-ci n’apparaît pas nommément. La Commission canadienne des Droits de la personne accepte depuis les plaintes contre la discrimination envers les gais, lesbiennes et bisexuels. En 1996, le gouvernement fédéral a amendé la loi canadienne des droits de la personne qui régit les relations entre l’État canadien et ses employés, de même que les relations entre les employés et les sociétés paragouvernementales pour y inclure un interdit de discrimination basé sur l’orientation sexuelle. Tous ces changements juridiques sont survenus durant les trente dernières années, et la majorité d’entre eux, durant les dix dernières années. Cela signifie que beaucoup d’adultes gais, lesbiennes ou bisexuels ont vécu une bonne partie de leur vie dans l’illégalité, et ce n’est que dernièrement qu’ils peuvent recourir à la loi pour contrer la discrimination.
 La famille : La famille compte pour beaucoup dans la honte qu’éprouvent les hommes et les femmes qui aiment des personnes de leur sexe. Lorsque les enfants se conduisent mal ou ne répondent pas aux attentes de leurs parents, ces derniers peuvent s’alarmer, critiquer voire punir les comportements indésirés. Lorsqu’un comportement dévie des modèles de masculinité et de féminité, certains parents peuvent alimenter le sentiment de honte, a fortiori lorsque ce comportement prend la forme d’une identité. Si le mariage et l’enfantement légitimisent encore la sexualité sur le plan social, les gais et les lesbiennes se retrouvent en quelque sorte hors des normes sociales puisque leurs unions n’impliquent pas la reproduction. L’homme ou la femme qui s’écarte des modèles reçus, et qui ose aimer une personne de son sexe, se voit donc stigmatisé. Jusqu’à maintenant, l’incompatibilité professée entre l’institution familiale et l’homosexualité a été une source de honte pour toute forme de relation amoureuse se situant hors du mariage hétérosexuel monogame.
 Le groupe de pairs : On retrouve de nombreux motifs de honte parmi les groupes de pairs. Les pairs persécutent parfois sans merci toute personne qu’ils soupçonnent d’être homosexuelle. C’est dans la sous-culture des pré-adolescents ou des jeunes adolescents que la honte atteint son paroxysme, car les pairs jouent un rôle clé dans la séparation de la famille. En remplaçant le modèle d’identification et de socialisation de ses parents par celui de ses pairs, l’adolescent change graduellement d’allégeance identitaire et développe sa propre personnalité. Or, la pression des pairs renforce souvent l’hétérosexualité de façade du jeune qui ne souhaite pas être différent, et encore moins ostracisé. Pendant la période de la préadolescence, qui commence lorsque les garçons et les filles ont de dix à douze ans, l’éventualité de la honte augmente, en raison surtout des inévitables changements physiques auxquels ils sont confrontés. C’est en outre le temps où toute manifestation d’affection envers une personne de son sexe, spécialement par le toucher ou l’étreinte, provoque un malaise. Par exemple, les pairs insultent, humilient en traitant les leurs de « fifis », « lesbis » « tapettes » et « homos ». Ces termes apparaissent bien avant le début de l’adolescence, sans que le jeune ne sache trop à quoi ils réfèrent. Les jeunes garçons et filles apprennent que l’homosexualité est honteuse bien avant de savoir qu’ils sont gais ou lesbiennes, et ils apprennent très rapidement à éviter qu’on les perçoive ainsi. La représentation de l’homosexualité est le plus souvent négative à la préadolescence. Une fille ou un garçon qualifié d’homosexuel doit réfuter cette étiquette sous peine d’être identifié à la marginalité, voire à l’anormalité. Les jeunes étant, malgré les apparences, conformistes au regard des attentes, valeurs et attitudes de leur groupe de pairs, ils auront tendance à ridiculiser ou dénigrer ceux et celles qu’ils perçoivent homosexuels. Les jeunes gais et lesbiennes apprennent donc à se cacher et à taire leur orientation afin d’éviter la honte mais ce secret renforce la honte plutôt que de la soulager

 La culture : Au vingtième siècle, on ne retrouve aucun exemple de culture qui accepte l’homosexualité de pair avec l’hétérosexualité même si certaines sociétés, notamment scandinaves, s’approchent de cette égalité. Chaque culture influence le développement de ses membres par les préceptes qu’elle leur propose pour qu’ils vivent décemment. Les attentes culturelles prédominantes veulent que toute personne se marie, et qu’il n’y ait qu’une forme de relation qui permette le mariage et la famille. Les autres modèles relationnels de vie sont à tout le moins infériorisés. Nous apprenons ce que nous enseigne notre culture, nous apprenons également de ce qu’elle ne nous montre pas. Notre culture ne nous présente guère les gais et les lesbiennes comme des personnes ordinaires et normales dans leurs relations amoureuses. Il est encore rare que nous voyions des images non stéréotypées de ces personnes, et ce, malgré l’évolution évidente des représentations dans les médias au cours des dernières années. Le fait de ne pas reconnaître ou de ne pas valoriser différents modèles de relations intimes transmet inévitablement aux jeunes le message que certaines formes d’amour dont l’homosexualité sont ou inférieures, ou déficientes, ou indignes, ou imparfaites, donc plus ou moins honteuses. En somme, les sources de la honte chez les gais et lesbiennes sont multiples et profondes. Nous avons vu qu’elles ont un passé lointain et une actualité nouvelle. Les intervenants peuvent aider un ou une jeune qui se questionne sur son orientation sexuelle à franchir cette barrière de honte qui freine son développement

RÉVÉLER SON ORIENTATION SEXUELLE : UNE FAÇON DE VAINCRE LA HONTE

La révélation de son homosexualité est un moyen de vaincre cette honte, et d’en contrer les effets néfastes. Prise dans le sens d’une démarche, cette révélation consiste à prendre la décision de cesser de cacher sa vie amoureuse. Le pouvoir de cette déclaration repose sur le fait que la personne défie jusqu’à un certain point l’oppression sociale et décide de se définir d’après son expérience personnelle. Cette divulgation invalide les mythes, mensonges et demivérités ; elle est souvent une longue démarche qui vise à s’approprier à nouveau ses sentiments, ses attractions, et son histoire de vie, pour finalement être soi-même. La révélation de son orientation sexuelle est une démarche progressive qui permet aux gais, lesbiennes ou bisexuels de reconnaître leur orientation sexuelle et de décider d’intégrer cette reconnaissance dans leur vie. Cette expérience est personnelle, mais les étapes de cette reconnaissance sont plus ou moins similaires chez chaque individu. Ce dévoilement implique trois tâches parallèles : le développement de l’estime de soi, la consolidation de son identité et l’apprentissage d’habiletés sociales. Cette démarche prend fin lorsque la personne en arrive à développer des sentiments favorables face à son orientation sexuelle, à relativiser cette dimension parmi d’autres dans sa vie et à établir des relations harmonieuses tant avec des pairs gais et lesbiennes qu’avec son milieu de vie. Cass (1984) prétend que la formation de l’identité homosexuelle comprend six étapes de développement, ou « points de croissance » :

 1. La confusion quant à son orientation. La personne commence à s’interroger sur son orientation sexuelle et à envisager la possibilité d’être homosexuelle, ou commence à percevoir cette possibilité comme acceptable ou non.

 2. La comparaison quant à son identité. La personne éprouve davantage de sentiments d’aliénation quand elle entrevoit la dichotomie entre elle et les personnes hétérosexuelles. Elle peut songer à entrer en relation avec d’autres personnes homosexuelles, afin de diminuer l’aliénation qu’elle éprouve à ce moment-là.

 3. La tolérance envers son orientation ou son identité. La personne accepte davantage son homosexualité, et sent le besoin de rencontrer des semblables. Mais le désir de se réaliser ne fait pas disparaître pour autant la crainte et la honte ; à cette étape la personne vit encore une certaine clandestinité. La qualité des relations qu’elle établit auront des conséquences importantes sur son développement. Elle mène deux vies : une vie publique hétérosexuelle et une vie privée gaie, ou lesbienne.

 4. L’acceptation de son identité. Comme la personne connaît davantage la sous-culture gaie, elle développe un réseau social de support. L’un des problèmes de ce réseau, c’est que les communautés gaie et lesbienne incluent souvent une grande variété de personnes qui n’ont parfois en commun que leur orientation sexuelle (Williams, 1984). Des études indiquent que la plupart des gens ont commencé à établir ce réseau, grâce à leur rencontre dans des activités ou des lieux identifiés aux communautés gaie ou lesbienne. Ces relations avec la sous-culture homosexuelle permettent à la personne : a) de rencontrer des partenaires en amitié ou en amour ; b) de partager une structure commune de valeurs ; et c) d’aller dans un endroit où elle peut trouver un renforcement positif de son orientation ou de son identité (Rutenbeek, 1973). À ce stade, la personne continue de « passer » pour hétérosexuelle, mais peut commencer à divulguer son orientation à ses amis intimes et à sa famille, en leur faisant cependant promettre de garder le secret à ce sujet. Au fil du temps passé dans le monde gai ou lesbien, la personne peut aussi changer son image de soi et son identité, modifiant ses conceptions non seulement de sa propre sexualité, mais de l’homosexualité en général. Selon Troiden (1979), à ce stade, la personne comprend de façon différente le mot « homosexuel ». Dans l’étude de Troiden, 88 % de ses répondants ont affirmé que leur conception favorable de l’homosexualité résultait de leur fréquentation de gais ou de lesbiennes qui partageaient leurs intérêts. Les études de Roesler et Deisher (1972) ont démontré que la majorité des jeunes hommes qui s’identifiaient comme homosexuels avaient déjà eu leur premier orgasme avec une personne du même sexe. Mais il y a un pas entre le fait d’avoir un comportement homosexuel et le fait de se considérer ou de s’identifier comme homosexuel. Cass (1984), décrit le dévoilement de l’orientation sexuelle comme un processus de développement au cours duquel les personnes gaies et lesbiennes reconnaissent leur orientation sexuelle, et décident de l’intégrer à leur vie personnelle et sociale. Cette divulgation devient parfois un acte de révolte contre la norme de la culture dominante quant à la définition sexuelle d’une personne. Dès qu’une personne franchit les différentes étapes de cette démarche, elle commence à considérer sa vie et sa situation de façon plus collective, d’où une certaine sensibilisation à la condition gaie ou lesbienne. La personne décide alors de s’intégrer à la société tout en développant un réseau de socialisation gaie ou lesbienne. Elle continue de prétendre qu’elle est hétérosexuelle mais uniquement dans les moments où elle se sent menacée de violence par exemple.

 5. Le confort voire la fierté de son identité. La personne développe de fortes affinités avec ses amis gais ou lesbiennes et des sentiments de fierté quant à son orientation sexuelle. Elle peut blâmer la société qui l’opprime et chercher à faire valoir ses droits et libertés. Son statut socio-économique aide évidemment la personne gaie ou lesbienne à déclarer plus ouvertement son orientation sexuelle. Si l’individu est travailleur autonome, ou occupe un poste dans un milieu considéré ouvert, il peut plus aisément parler de son orientation sexuelle, lorsqu’il se sent prêt. La colère contre la stigmatisation sociale de l’homosexualité peut mener à la divulgation de son orientation sexuelle afin de confronter les préjugés et de favoriser l’égalité des personnes homosexuelles (Cass, 1984). Si la personne occupe un poste où il est impossible de se révéler (par exemple dans l’armée), le fait qu’elle doit gagner sa vie en conservant un secret peut perpétuer la honte (Gushman, 1983). Une étude de Ryan (1987) affirme que « les hommes gais interviewés avaient perçu favorablement beaucoup d’éléments reliés à la condition homosexuelle ». Plusieurs hommes gais mentionnent que leur condition les avait aidés à développer des aptitudes très utiles à la critique sociale, qu’elle avait accru leur créativité, ou les avait rendus plus sensibles aux besoins des autres. Certains hommes ressentaient une sorte de liberté, qui, selon eux, était peu commune chez leurs amis ou collègues hétérosexuels, tandis que d’autres croient que leur homosexualité les avait aidés dans la poursuite de leurs études ou de leur carrière. Plusieurs hommes ont dit que leur vie était pleine de renforcements positifs. Dank (1971) a souligné que la plupart des personnes qui étaient parvenues à dire qu’elles étaient homosexuelles avaient été contraintes de changer le sens de la catégorie cognitive « homosexuel ». Elles devaient éliminer ou modifier les connotations négatives de l’étiquette « homosexuelle ». Le slogan « c’est ok d’être gai » témoigne de ce changement cognitif. Pour Dank, les relations avec les communautés gaie et lesbienne et l’identification subséquente avec ces dernières représentent un tournant important dans cette transformation. Pour arriver à cette transformation cognitive, il faut habituellement réviser ou reconsidérer son expérience passée (de Monteflores, 1978). La construction d’un sens plus positif ou pertinent de l’histoire ou de ses propres antécédents est importante. Dans le cas d’une personne qui affirme son homosexualité, l’exploration de son passé évoque souvent des sentiments antérieurs de dénégation quant à l’attraction ressentie à l’égard des personnes de même sexe. La signification des mots « amour » et « affection » est désormais changée, pour y inclure un sujet de même sexe. Il se peut que la personne gaie ou lesbienne qui révèle son orientation éprouve de l’angoisse et de la colère causé par le fait qu’elle a longtemps omis de reconnaître une partie importante d’elle-même. Les communautés gaie et lesbienne, de leur côté, entreprennent la reconstruction de leur histoire encore obscure et dévalorisée « en vue de redonner un passé à ses membres » (Katz, 1976).

 6. La synthèse de l’identité. À ce stade, les gais et les lesbiennes ont acquis une perspective nuancée quant à leur identité. Ils constatent qu’ils sont des personnes ayant de multiples caractéristiques, dont l’une est leur orientation sexuelle. Ils sont alors en mesure de voir qu’ils ont des points communs avec les hétérosexuels, qu’ils peuvent accepter leur orientation plus aisément, et vivre plus ouvertement. Ils éprouvent encore de la colère ou de la fierté, mais ont réussi à mieux intégrer ces sentiments à l’intérieur d’un tout. La personne est parvenue au dernier stade du processus lorsqu’elle développe un sentiment favorable envers son orientation, à laquelle elle accorde une importance relative ; elle a établi des relations confortables avec des pairs des communautés gaie ou lesbienne et avec des personnes qui ne partagent pas son orientation. Il est possible qu’une partie seulement des personnes qui ont des rapports sexuels avec des partenaires de leur sexe parviennent à ce sixième stade de la formation de leur identité ; plusieurs s’arrêtant à des stades antérieurs, parce qu’elles ne se sentent pas libres ou sont incapables de poursuivre leur démarche (Troiden, 1979).

Bill Ryan

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