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Un point de vue original : Sexualités plurielles, pourquoi tant de niches ? par Maïa Mazaurette

mercredi 8 août 2018, par phil

Fictosexuel, panromantique, asexuel… Si la catégorisation de nos sexualités connaît une croissance exponentielle, c’est parce que les vieilles catégories ne correspondent plus à notre réalité contemporaine, affirme Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale ».

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Sexualités plurielles, pourquoi tant de niches ?
Fictosexuel, panromantique, asexuel… Si la catégorisation de nos sexualités connaît une croissance exponentielle, c’est parce que les vieilles catégories ne correspondent plus à notre réalité contemporaine, affirme Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale ».

LE MONDE | 25.03.2018 à 06h42 • Mis à jour le 26.03.2018 à 10h10 | Par Maïa Mazaurette

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Etes-vous autosexuel (vous n’avez de désir que pour vous-même) ou homoflexible (homo avec des exceptions) ? Panromantique (vous aimez tout le monde mais ne couchez avec personne) ou skoliosexuel (vous ne convoitez que les queers) ? Les ficto préfèrent les personnages de fiction, les abrosexuels changent d’avis constamment.

Si vous cherchez une liste exhaustive, bon courage : le champ des dénominations sexuelles est mouvant, surprenant, inspirant.

Il prolifère, connaît des tendances autant que des grands classiques.

Et si la multiplication des sous-catégories comme des petits pains fait parfois sourire, pour d’autres, elle est un motif de tension permanente.

Car c’est bien la raison principale de la catégorisation exponentielle de nos sexualités : les vieilles catégories (homme-femme, homo-hétéro, bisexuel les jours de fête) ne marchent plus. Elles traînent des millénaires de codes qui ne correspondent pas à notre réalité contemporaine… et franchement, ça n’est pas une mauvaise nouvelle qu’on sache enfin compter plus loin que deux. Connaissez-vous beaucoup de gens adorant se compliquer la vie pour rien ? Non ? Eh bien, nous nous compliquons la vie pour quelque chose : nous sous-catégorisons parce que nous en avons besoin, et parce que les valeurs associées traditionnellement à la masculinité ou à la féminité, l’absence de fluidité attendue dans nos orientations sexuelles ont pris un coup de vieux. Genre, orientation : tout est à reconstruire.

Certains objecteront que c’est beaucoup de bruit pour peu de morts d’hommes (ah, les morts d’hommes…). Sauf qu’il s’agit parfois, effectivement, de vie ou de mort. Ces questions ne sont pas cosmétiques. Se déclarer gay dans un pays aux lois homophobes revient à mettre ses jours en danger. On a vu récemment des individus se décrire comme androphiles plutôt qu’homosexuels, en réaction à ce qu’ils perçoivent comme les « excès » des cultures gays. Et chacun peut comprendre que les personnes intersexes, ou en transition, en aient assez de choisir entre deux identités qui ne leur correspondent pas. Notons aussi que la division strictement binaire du monde n’est pas universelle : à mesure que nous nous globalisons, nous ne pouvons plus ignorer l’existence de genres autres que masculin ou féminin, ou d’orientations sans rapport avec les nôtres (les Grecs n’étaient pas homosexuels sous prétexte qu’ils couchaient parfois avec des garçons) – ce que nous considérons comme « plus simple » ne l’est pas pour le voisin.

On n’aime pas tous les hommes, ni toutes les femmes

En l’occurrence, le fait de nommer implique de pouvoir penser et agir pour ses intérêts. Nous avons besoin de l’étiquette « transsexuel » ou « transgenre » pour organiser les toilettes de la Cogip, certes, mais aussi pour gérer les problématiques spécifiques des prisons ou des événements sportifs – on ne peut pas écarter ces réalités sous prétexte que « c’est compliqué ». Quel message envoie-t-on quand on affirme qu’on préfère changer des êtres humains plutôt que des étiquettes ? Quand on dit qu’il faut se fondre dans les catégories préétablies, quitte à se raboter aux angles ?

Les qualifications plus classiques d’hétéro/homo/bi sont tout aussi contestables.

Si vous réfléchissez à vos préférences, sont-ce vraiment les organes génitaux qui comptent ? Si vous aimez les femmes, préféreriez-vous une relation avec un homme incroyablement féminin, ou avec une femme à l’apparence et aux habitudes traditionnellement masculines ? Par ailleurs, avant de jeter votre dévolu sur les pénis ou les vagins (ou les deux, c’est dimanche), sans doute désirez-vous les humains plutôt que les animaux, les bien portants plutôt que les malades, les vivants plutôt que les morts. Pourtant, personne ne vous oblige à placer « non-nécrophile » en première ligne de vos attirances. Vous n’aimez pas tous les hommes, ni toutes les femmes : vous en aimez certains, et certaines. Vous pouvez n’en aimer sentimentalement aucun des deux (catégorie aromantique) ou ne jamais éprouver d’attirance sexuelle pour personne (catégorie asexuelle).

LA GÉNÉRATION MILLENIALE, QUI A GRANDI EN PIOCHANT PARMI 56 GENRES DIFFÉRENTS SUR FACEBOOK, S’EMPARERA DES ÉTIQUETTES, ET PLUS ENCORE, DE L’IDÉE QUE LES ÉTIQUETTES NE SONT PAS GRAVÉES DANS LE MARBRE

Vous pourrez bien sûr débouler dans la conversation avec le rasoir d’Ockham. Prière cependant de ne pas trébucher sur la lame : s’il faut s’en tenir à un argument purement statistique, à l’heure actuelle, seuls les hétéros existent (remarquez, avec une catégorie unique, c’est sûr que les moutons sont bien gardés). Mais ce serait oublier le pouvoir performatif des catégories : peut-être vous considérez-vous comme hétérosexuel de base parce que votre vocabulaire, votre éducation, votre dressage ne vous ont pas laissé le choix. Parce que justement, en l’absence de mots, vous avez été incapable de questionner vos attirances réelles, encore moins de les affiner. Il y a fort à parier que la génération milleniale, qui a grandi en piochant parmi 56 genres différents sur Facebook (dont « autre »), s’emparera naturellement des étiquettes, et plus encore, de l’idée que les étiquettes ne sont pas gravées dans le marbre (combien de femmes autoproclamées bisexuelles pendant leur vingtaine le sont-elles encore à leur quarantaine ? Combien d’hommes hétéros acceptent volontiers les fellations d’autres hommes ?).

Les mots permettent d’entamer le dialogue

Et parce qu’il faut poser la question qui fâche : au fait, qu’est-ce qui nous dérange dans la multiplication des niches ? Votre nièce queer sapiosexuelle perturbe-t-elle votre existence ? Est-il plus communautariste d’être gay ou hétéro ? (Vous avez quatre heures.) Même chose pour la féminisation des titres : va-t-on réellement arrêter de dormir si le mot « autrice » se répand ? Allons : ne serait-ce pas une question de flemme ? Les mots permettent d’entamer le dialogue : si on refuse les mots, n’est-ce pas une manière d’affirmer qu’on refuse de comprendre – qu’on refuse même de poser la question ?

Avoir un langage adapté à son temps et ses pratiques, c’est poser des repères autant que des capacités d’organiser et désorganiser ses interactions au monde. C’est pouvoir rechercher les supports de désir qui nous conviennent. C’est reconnaître dans une foule l’homme qui nous fera chavirer. C’est se connaître soi-même, pas seulement à grandes lignes (de fuite). C’est jouir de raccourcis dans une conversation. C’est s’autoriser des réinventions : si vous voulez acheter vos croissants ce matin façon phénix priaposexuel semilibertin uro-orienté en troisième décan du Verseau, personne ne vous en empêche.

Enfin, même les adeptes de la plus immense mauvaise foi admettront que cette complexification du monde n’est nullement limitée aux sexualités (comme vous le rappelleront bientôt vos formulaires de déclaration d’impôt). On entend moins râler quand il s’agit de pouvoir choisir entre huit cents variétés de pâtes italiennes !

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