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Vous parlez inclusion ?

jeudi 6 août 2015, par phil

Selon Charles Gardou, les piliers d’une société inclusive sont…

 L’UN DE CES PILIERS/AXIOMES INVITE A DISTINGUER LE « VIVRE » ET L’« EXISTER ». JE L’EXPRIME AINSI : VIVRE SANS EXISTER EST LA PLUS CRUELLE DES EXCLUSIONS. Une société inclusive ne défend pas seulement le droit de vivre mais celui d’exister. Le vivre, que nous partageons avec tous les organismes vivants, renvoie à nos besoins biologiques. L’exister spécifie les hommes, marqués par leur inachèvement natif et leur nature sociale. Il se situe sue le versant de l’esprit et de la psyché ; des relations à soi, aux autres, au temps et à son destin ; du besoin de reconnaissance par les proches, les amis, les réseaux professionnels ou sociaux ; de la dépendance des solidarités humaines ; de la possibilité de devenir membre d’un groupe et de s’impliquer dans sa société d’appartenance. Victor Hugo le formulait ainsi : « C’est par le réel qu’on vit ; c’est par l’idéal qu’on existe. Les animaux vivent, l’homme existe ».
Il n’est pas assez pour les humains de naître physiquement et de vivre, tant s’en faut. Soignés par tous, ils peuvent mourir de n’exister pour personne. Le handicap met en relief ce caractère toujours problématique de l’accès à l’existence, soumise à maints empêchements. Des réponses attentives aux besoins biologiques d’autoconservation ne garantissent pas à elles seules la possibilité d’exister. Le soin, dans sa dimension thérapeutique et curative (cure), ne suffit pas, celles du care et la sollicitude qui l’accompagne.
Le sentiment d’exister repose sur l’expression et la prise en compte des désirs, qui ne sont pas un luxe réservé à ceux qui n’auraient pas de besoins « spéciaux ». Ils ne sont pas leur privilège exclusif, interdit à ceux qui nécessitent des soutiens et des compensations. Or, ces derniers se voient trop souvent cantonnés à leurs besoins particuliers, selon l’expression consacrée. Seulement des nécessiteux, assimilés à leurs servitudes. Leurs désirs seraient superflus, voire incongrus. Leurs besoins sont satisfaits, n’est- ce pas suffisant ? On tend à négliger ce qui fait d’eux des êtres existant, sentant, pensant, dans des flux de désir, de projet, de passion et de volonté : leurs goûts et opinions, leurs aspirations et peurs, leurs élans vitaux et accablements ; leurs idéaux et rêves, si contraints, si gardés au secret qu’ils finissent par se perdre. Si une personne en situation de handicap nécessite, par exemple, un accompagnement pour remédier à ses difficultés, elle souhaite avoir son mot à dire sur le choix de son accompagnant : cela relève de son désir non de son besoin.

 UN AUTRE PILIER/AXIOME APPELLE A REMETTRE EN CAUSE LA HIERARCHISATION DES VIES. JE L’ENONCE DE CETTE MANIERE : IL N’Y A NI VIE MINUSCULE NI VIE MAJUSCULE. Car il n’y a pas plusieurs humanités : l’une forte, l’autre faible ;
l’une à l’endroit, l’autre à l’envers ; l’une éminente, l’autre insignifiante, infra- humanisée. Mais une seule, dépositaire d’une condition universelle, entre un plus et un moins, un meilleur et un pire. Entre fortune et revers, résistance et fléchissement. Entre l’infime et l’infini, disait Pascal, cette figure du Grand Siècle, que l’on l’imagine sûr de lui, fort mais qui était en réalité un être fragile, souffreteux, mort à 39 ans. La roche Tarpéienne, dit-on, est proche du Capitole. Le « peu » et le « moins » n’équivalent pas à une absence de grandeur. Les vies sont par nature ambiguës. Leur stratification ne tient pas, pas plus que celle entre les cultures. Claude Lévi- Strauss l’avait déjà si bien montré, il y a près de 60 ans, avec Tristes Tropiques, qualifié par Pierre Nora de moment de la conscience occidentale. La gageure d’une société inclusive est de réunifier les univers sociaux hiérarchisés pour forger un « nous », un répertoire commun.

 LE 3EME PILIER/AXIOME INDUIT UN QUESTIONNEMENT SUR LA NOTION D’EQUITE ET DE LIBERTE. JE LE TRADUIS AINSI : UNE SOCIETE HUMAINE N’EST RIEN SANS DES CONDITIONS D’EQUITE ET DE LIBERTE. Il renvoie à la problématique de la refondation de la justice sociale, de l’égalité formelle et de l’égalité réelle, des conditions de l’exercice effectif de la liberté et d’équité. Le principe d’équité, au caractère subjectif, n’est pas synonyme de celui d’égalité, objectivement évaluable car le plus souvent énoncé dans le droit positif, amplement débattu, affirmé par la doctrine et consacré par la jurisprudence. Il consiste à agir de façon modulée, selon les besoins singuliers, pour pallier les inégalités de nature ou de situation. Les êtres humains ne sont pas des copies conformes à un modèle unique,
reproduits en millions d’exemplaires interchangeables. Leur égalité qualitative n’induit pas la similarité de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent. En situation de handicap ou non, chacun d’eux a le droit inconditionnel à être singulier et à réaliser sa singularité. Celle- ci n’autorise aucun traitement inégalitaire. Si des situations identiques appellent des réponses identiques, les citoyens les moins « armés » et les plus précarisés légitiment des réponses spécifiques. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen confie d’ailleurs au législateur le soin d’identifier, dans l’intérêt supérieur, les différences à reconnaître ou à ignorer, précisant que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »3. Pour peu qu’elles soient justes et bénéfiques, tant pour la personne que pour la collectivité, ces distinctions préviennent les risques d’indifférenciation et de nivellement de l’action sociale, susceptible d’amplifier les inégalités, au nom d’une idéologie égalitariste. Elles préviennent l’altération du principe d’égalité. La négation des singularités, attachées à l’âge, au sexe, aux aptitudes, aux inclinations, aux origines, au milieu et aux circonstances de vie, au fonctionnement inégal de notre corps et de notre esprit, entrave la justice, conçue en termes d’exigences d’équité. Le handicap exige d’accommoder les ressources ordinaires en matière de santé, de bien-être, d’éducation, d’acquisition de savoirs ou de compétences, de sécurité économique et sociale. Parce qu’ils permettent d’articuler le singulier et l’universel, le divers et le commun, ces accommodements sont la condition même de l’égalité et de la liberté. Ils permettent de rétablir un continuum dans l’itinéraire de vie : accessibilité, autonomie et citoyenneté ; vie affective, familiale, et sexuelle ; accompagnement de la petite enfance, scolarisation et formation ; activité professionnelle ; art et culture ; sports et loisirs.

 LE 4EME PILIER/AXIOME AMENE A S’INTERROGER SUR LA NORME ET LA CONFORMITE. JE LE FORMULE AINSI : L’EXCLUSIVITE DE LA NORME C’EST PERSONNE, LA DIVERSITE C’EST TOUT LE MONDE. La visée inclusive contrecarre la centrifugeuse culturelle qui renvoie en périphérie ce dont l’existence même déconstruit les modèles et archétypes dominants. Elle remet en cause l’exclusivité des normes, culturellement construites au gré du temps ou des cultures, imposées par ceux qui se conçoivent comme la référence de la conformité, qui aggravent les rapports de domination et multiplient les phénomènes d’exclusion. Au-delà des institutions politiques, matérielles ou symboliques normatives, dont naturellement toute société procède, elle s’élève contre l’emprise excessive d’une norme qui prescrit, proscrit et asphyxie le singulier. Six siècles avant Kierkegaard [1813-1855], père de la pensée existentielle, qui a consacré la part essentielle de son œuvre à la singularité, Duns Scot, philosophe et théologien écossais à l’origine du concept d’eccéité exprimant le caractère unique d’une personne, avait déjà récusé les approches abstraites et générales qui négligent l’existence de l’individu réel. La signification d’une école inclusive se dévoile donc par le plein droit de cité qu’elle offre à la diversité des silhouettes humaines et à leur mode d’accès au monde.
À rebours d’une logique disjonctive, fondée sur une conformité fantasmatique, l’optique inclusive se caractérise par la capacité collective à conjuguer les singularités, sans les essentialiser. Des singularités, parfois désarmantes, en relation avec d’autres singularités, à l’intérieur d’un tout, où chacun a le droit de se différencier, de différer. Et, dans le même temps, d’être, de devenir avec les autres ; d’apporter au bien commun sa biographie originale, faite de ressemblances et de dissemblances, sans être séparé de ses pairs, ni confondu avec eux, ni assimilé par eux. On peut, disait Aimé Césaire, se perdre « par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel ».

 LE PILIER/AXIOME, AUQUEL JE CONSACRE ICI L’ESSENTIEL DE MON PROPOS, CONDUIT A ABORDER LA QUESTION DE NOTRE PATRIMOINE COMMUN. JE LE FORMULE DE CETTE FAÇON : NUL N’A L’EXCLUSIVITE DU PATRIMOINE HUMAIN ET SOCIAL.

Charles Gardou, anthropologue, Université Lyon 2, extraits d’article universitaire