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Suffit-il d’être tolérant ?

jeudi 1er septembre 2005, par Lionel 3

Voici un point de vue publié dans le journal "Marianne" qui nous concerne tant l’on parle de la nouvelle tolérance sociale accordée aux homosexuels. Mais c’est quoi la tolérance ?

La liberté d’être et aimer en tout lieu sans entrave ou condamnation morale, ou des îlots de liberté, des espèces de nouveaux ghettos où vivre ses amours opprimées dans la plus grande dissimulation ? Tout discours médiatique prêche la tolérance aujourd’hui.

"Notre époque ne supporterait plus l’intolérance et n’aimerait que le pluralisme des idées. Il n’y a pas à discuter, il faut être tolérant, accepter le débat, écouter l’autre, respecter ses convictions et ses croyances" écrit Philippe Petit. Il ajoute :"Tout bon démocrate se doit de ne pas imposer ses valeurs à autrui. Il se doit de combattre l’intolérance et de défendre la liberté de conscience". On ne peut, il est vrai transiger. La démocratie, c’est apprendre à vivre ensemble. Et par delà nos différences et nos attachements, c’est être tous également respectés et reconnus.

La démocratie favorise une co-existence pacifique. La tolérance est l’instrument de la paix, et cette dernière notre norme sociale. Mais peut-elle devenir une fin. Certes pas. "La tolérance est une vertu pratique. Si vivre ensemble, c’est être citoyens ensemble et qu’il existe des lois pour nous y conduire, comme la laïcité pour première d’entre elles, c’est tant mieux." Mais est-il tolérable de tolérer l’intolérable au nom des bons sentiments : ainsi tolérer toutes les "croyances", toutes les "opinions", tous les "partis politiques", toutes les "idées connes" affichées sans vergogne, ni l’existence d’une pauvreté matérielle et intellectuelle, dont on ne peut facilement tourner le regard.

"La tolérance, souligne l’écrivain Mohammed Arkoum, n’est pas une vertu stable ; elle est plutôt une relation changeante à une situation, à un interlocuteur, à un sujet donné. Elle résulte d’une évaluation fluctuante du tolérable et de l’intolérable selon les acteurs en présence, les langues utilisées, les cultures de référence, les systèmes de pensée" L’actuelle tolérance appartient au consensus volontariste de notre fin de siècle. On ne pas refuser de prescrire le tolérable au nom du pluralisme démocratique. Mais suffit-il cependant d’être tolérant ? La tolérance devient un beau geste, équivalent à celui qui consiste à envoyer des billets de banque lors des soirées de charity-buiness. Elle offre à certains la possibilité d’exister dans certains lieux ou à certaines heures, elle enferme des identités, des cloisonnements existentiels ou sociaux, des endroits fermés, des quottas, des horaires, des ghettos. La tolérance est un enclos. Un enclos de tolérance .

L’homosexualité en est le meilleur exemple français avec ses clubs, ses bars, ses quartiers repliés sur eus-mêmes. La société américaine l’a appliqué à toutes les catégories humaines. Il se crée une société émiettée, éclatée en communautés offensives, voire conquérantes pour certaines susceptibles de dominer les autres grâce à quelques puissances. Est-ce préférable à une France consensuelle ou presque ? L’intégration républicaine disparaît, le repli sur soi communautaire grandit, la fragmentation communautaire fragilise alors la cohérence de la société. Il apparaît dès lors un danger d’appauvrissement culturel et un risque latent d’affrontement et de violence.

Si on peut comprendre une communauté de défense d’intérêt spécifique, une communauté de lutte contre les discriminations de toutes sortes, on peut regretter qu’elle ne se transforme tôt ou tard en village communautaire sclérosant et refermé, même si on remarque que la République intègre de moins en moins ses concitoyens quels que soient leurs particularismes. Le modèle égalitaire d’intégration républicaine enrichissait la communauté nationale de toutes les différences apportés par la diversité des citoyens et citoyennes. S’il s’est grippé, faut-il pour autant l’abandonner dans la mesure où cette intégration n’empêchait pas l’existence et la production culturelle de chaque groupe d’individus.

Être intégré à la république laïque tout en conservant ses pratiques personnelles, ses coutumes et rites. Ne devrait-on pas finalement substituer à la Tolérance et ses enclos ghettoïsant la notion de reconnaissance pleine et entière (sans arrière pensée discriminante ou assimilatrice) fondé sur l’application de la co-existence. Co-exister, c’est-à-dire : vivre ensemble sans s’entretuer ou s’entredéchirer, en se respectant et en se reconnaissant, en dialoguant et en échangeant.

Extraits de Marianne, 1997