Accueil > ACTUALITÉS SELECTIVES > Mobilisation scolaire contre le racisme

Mobilisation scolaire contre le racisme

samedi 15 novembre 2008, par Andy

Dans la lutte contre le racisme, l’école a une mission capitale. Reportage sur des initiatives mises en place pour apprendre à respecter l’autre et à vivre ensemble.

La lutte contre le racisme passe par une prévention efficace. En préparant nos enfants à devenir des citoyens, l’école a un rôle essentiel à jouer. Et ce, à double titre. En tant que lieu de transmission des connaissances, elle peut contribuer à la découverte de l’autre à travers sa culture, ses coutumes, son histoire, sa géographie, sa philosophie, et amener à une meilleure compréhension de sa différence. Car, en se nourrissant de préjugés, le racisme s’enracine dans l’ignorance. Mais l’école est aussi un lieu de socialisation, où l’on apprend à vivre ensemble. Avec cet apprentissage des règles de la vie en société peut se faire une éducation à la tolérance et au respect de l’autre. L’institution scolaire y parvient-elle ? Quels messages donne-t-elle à nos enfants ’ ? « Notre enseignement ne met pas suffisamment en valeur les cultures étrangères, qui sont trop souvent présentées sous forme de clichés, d’image d’Epinal déconnectées de leur véritable porté culturelle.
On fait trop preuve d’occidentalo-centrisme, estime Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation à l’université Lyon-II. On pourrait faire découvrir les autres cultures à parti des diverses matières. Il ne s’agit pas de renoncer ; la nôtre, mais de cesser de penser que ce qui n’est pas nous n’est rien. Essayons de faire entendre que les hommes sont fils des mêmes questions, même s’ils ont élaboré des réponses différentes. » Cependant, l’école évolue. L’instruction civique a été réintroduite dans les collèges, il y a douze ans L’un des axes forts de cet enseignement spécifique est la distinction entre le citoyen et la personne. On explique aux jeunes qu’ils sont des personnes e que. à ce titre, ils ont le droit d’avoir leurs opinions leurs croyances. Ils ont droit à leur différence. Mais en tant que citoyens, ils doivent respecter un certain nombre de valeurs qui s’imposent à tous », précise Dominique Borne, inspecteur général de l’Éducation nationale. Les manuels scolaires changent peu à peu et commencent à intégrer des personnages de couleur.
« Notre souci a été de refléter la société telle qu’elle est. Il nous paraît important de banaliser la présence de personnes d’origine étrangère, sous peine de les singulariser, souligne Philippe Dominique, coauteur des méthodes d’anglais "Top" et "Action", chez Nathan. Mais, attention, il ne s’agit pas, comme on le constate encore trop souvent, de se dédouaner en mettant de petits Noirs par-ci, par-là. Dans nos fascicules, nous avons donné du relief à Marco, le gitan, était le « mauvais », celui que les autres enfants ne seraient jamais nos personnages étrangers. Il est important que les enfants puissent s’identifier à eux. » Plus qu’au moyen de l’enseignement, la tolérance et le respect s’apprennent surtout au contact de l’autre. Rien ne remplace l’expérience vécue. Il se trouve que, aujourd’hui, de plus en plus de parents, inquiets pour l’avenir de leurs chérubins, fuient les écoles de banlieue accueillant des enfants de milieux défavorisés pour inscrire leurs enfants en centre-ville, où se concentrent les élites. « Sous la pression de la demande sociale, on observe une accélération de la ségrégation dans les écoles. C’est le phénomène sociologique majeur des cinq dernières années », déplore Philippe Meirieu. Ainsi observe-t-on un cloisonnement entre les centres-villes et les banlieues, mais aussi au sein même des collèges, où l’on sépare les « bons » élèves par le biais de classes spéciales (classes bilingues, classes internationales) et les « moins bons ». Or, n’est-ce-pas dans des classes où les enfants d’origines et de milieux différents se mélangent que l’on peut mettre en œuvre une véritable éducation à la tolérance ?
C’est le cas dans certains établissements de la Seine-Saint-Denis, en région parisienne, où les petits immigrés côtoient les petits Français de souche. Grâce à la pédagogie institutionnelle, des institutrices apprennent aux enfants à se découvrir, à se rencontrer, à vivre ensemble. Cette méthode met en place des lieux de parole - causettes, conseils de classe... -, qui encadrent les échanges et les activités et permettent à l’enfant de prendre sa place en tant que « sujet », et non uniquement en tant qu’élève. L’an dernier, Marianne Lotroïc, institutrice à Montreuil, avait en CP un petit gitan, Marco. Dans sa classe (qui comprenait d’autres enfants d’origine étrangère), il dénotait. Il vivait en caravane dans un camp de gitans itinérant, parlait le gitan. Turbulent, différent de ses camarades, il les fascinait et les dérangeait à la fois. « II y avait un consensus dans la classe pour dire qu’il tapait tout le monde, qu’il faisait le fou, qu’il était comme ça et qu’on ne pouvait rien faire, etc. Quand il faisait le pitre, ils se mettaient à ricaner », explique Marianne. Tous les ingrédients du racisme étaient réunis : un enfant étranger, chargé d’une image forte, celle du gitan, et dont le comportement alimentait des a priori racistes. Mais, en même temps, la présence de Marco était utile pour les autres enfants. Car il avait son rôle, celui de bouc émissaire et de cancre. Il était le « mauvais », celui qu’ils ne seraient jamais. A chaque bêtise, il était dénoncé. Ils l’envoyaient aussi se bagarrer à leur place.
« C’est autour de cet enfant que s’est accompli un travail pour apprendre à vivre ensemble », dit Marianne. Régulièrement, lors des conseils de classe (l’instance de régulation des conflits), les enfants se plaignaient de Marco. Un jour, au cours d’un de ces conseils, l’institutrice prend la parole : « Plutôt que de se plaindre de lui, on pourrait essayer de l’aider. Qu’en pensez-vous ? » Les enfants acceptent de ne plus l’accuser sans preuves et de l’inciter à se calmer quand des situations de conflit se présenteraient. Marco promet d’écouter ses camarades. Quelques jours plus tard, il fait le clown dans la classe. Les enfants se moquent de lui. Marianne intervient : « Vous rigolez, vous pensez pouvoir l’aider comme ça ? Qu’est-ce qui a été décidé au conseil ? » Grand silence dans la salle. Marco s’arrête. Les regards sont graves. Petit à petit, les enfants ont osé parler à leur camarade, lui dire « arrête ». Ils se sont adressés à lui avec l’idée qu’il pouvait changer. Aux conseils de classe suivants, le nombre de plaintes a diminué et Marco a été touché par les paroles de ses camarades. Son comportement a évolué et il s’est beaucoup plus investi dans le travail de la classe. Des enfants qui ne se parlaient pas parce qu’ils étaient trop différents, qu’ils ne se connaissaient pas et avaient peur de leurs réactions réciproques ont renoué le dialogue. En cessant de juger « le petit gitan », les enfants ont cessé d’être les plus forts. En prenant conscience de leur responsabilité, ils ont permis à Marco de prendre enfin sa place parmi les autres, sa vraie place. « Nous sommes passés d’une situation où il y avait "eux" et "lui" à une situation où : y avait partage : on parlait ensemble », raconto Marianne.
Autre expérience enrichissante : la correspondance scolaire. Murielle Huette, institutrice e grande section de maternelle dans une école d Montfermeil, n’a que des enfants d’origine étrangère dans sa classe. Elle a établi une correspondance avec une classe de Vaujours, une commun avoisinante, dont les enfants sont en grande majorité des Français de souche. Les deux classes se rencontrent une fois toutes les six semaines autour d’activités. Chaque enfant a un correspondant avec lequel il entretient une relation privilégiée. « La correspondance (autre institution de la pédagogie institutionnelle) mobilise le désir d’échanger avec d’autres enfants. On porte intérêt à ceux qui nous entourent, à des enfants qu’on ne connaît pas et qu vivent des choses différentes, explique Murielle Peinture, jeux de construction, jeux de société chansons : la correspondance permet de partage des activités autour de projets communs et d’instaurer un véritable échange. » Et cela fonctionne Entre les rencontres, ils s’écrivent, réalisent des albums photos, préparent des cadeaux pour leurs correspondants. Des liens d’amitié se nouent. L’autre n’est plus un étranger, mais un ami. « J’ai été très surprise, raconte Murielle, lorsque Fatima, 5 ans, a voulu écrire à sa correspondante en dehors des activités scolaires. Elle lui a écrit "tu me manques beaucoup". Le désir s’est propagé. Hakim, lui, a envoyé un petit mot à Baptiste : "Je voudrais te voir tous les jours." Spontanément, les enfants dessinent pour leurs correspondants. Dans la classe, on a fabriqué une boîte pour recueillir leurs dessins et le donner à leurs camarades lors de la rencontre suivante. A travers la correspondance, l’enfant s’engage personnellement dans un échange avec un autre enfant. Il apprend à donner et à recevoir. Le- : lettres qu’ils s’écrivent montrent qu’ils vivent des relations vraies et intenses. »
Des enfants de Vaujours ont été surpris du délabrement des cités, des vêtements moins chics de leurs petits camarades ou, à l’occasion de repas prii en commun, s’étonnent de voir certains d’entre eus manger une nourriture qu’ils ne connaissent pas Les institutrices leur ont expliqué que les parent-n’avaient pas toujours les moyens d’offrir de beau ? vêtements ou que, dans tel pays, on mangeait te plat. Explications essentielles à la compréhension de l’autre et qui permettent aux enfants de se débarrasser d’idées toutes faites. En encourageant la rencontre, l’échange, la coopération entre des enfants d’origines différentes, l’école peut être un merveilleux terrain d’apprentissage. A elle de saisir cette chance.

CÉCILE DOLLÉ , article extrait du magazine Psychologie, juin 1997