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La leçon de discrimination

lundi 10 mai 2010, par Lionel 3

LES GRANDS ET LES PETITS ; QUELS SONT LES MEILLEURS ?

La leçon de discrimination
PAR ANNIE LEBLANC, EXTRAITS D’UN ARTICLE DE RADIO CANADA


 Annie Leblanc enseigne dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie. Un milieu très homogène, bien loin de la mosaïque multiethnique des grands centres. Pourtant, il y a de la discrimination dans sa classe de troisième année, à l’école Saint-Pierre. Bon an mal an, les élèves se trouvent un souffre-douleur. Cette année, Pierre-Luc, de par son obésité, est victime des moqueries de ses pairs.

 Que pourrait bien faire Annie Leblanc pour sortir la ségrégation de sa classe ? Pour faire prendre conscience aux enfants des mécanismes de la discrimination ? Pendant deux jours, elle va se livrer à une expérience hors du commun. Elle va faire vivre la discrimination à ses élèves, sous les caméras d’une équipe d’Enjeux.

 L’expérience inusitée qu’Annie Leblanc s’apprête à réaliser s’appuie sur des bases scientifiques solides. Depuis plus de 50 ans, des chercheurs étudient la psychologie des groupes entre eux. Un des pionniers dans le domaine est le professeur Henri Tajfel, un survivant des camps nazis qui a voulu comprendre d’où viennent les préjugés et la discrimination. Dans les années 60, en Grande-Bretagne, il a réalisé ses premières expériences de séparation de groupe.

Quand Annie Leblanc a vu ce documentaire, elle a décidé de livrer sa propre expérience. Avec l’accord de tous les parents, de la commission scolaire et de la directrice de l’école, l’enseignante a fait vivre la discrimination à ses élèves pendant deux jours. Elle a bien pris soin, au début, de leur dire qu’il s’agissait d’une expérience sur la discrimination. Elle s’est servie de la taille des enfants pour les séparer.

Elle a expliqué aux enfants que des études scientifiques prouvaient que les petits étaient généralement plus intelligents, plus rapides, plus sages et plus créatifs, qu’ils étaient supérieurs aux grands. Les grands, a-t-elle ajouté, sont plutôt maladroits, indisciplinés, bruyants et paresseux.

Ainsi, les élèves mesurant moins de 1,34 m ont eu droit à des privilèges de toutes sortes. Quant aux autres, ils ont dû porter un dossard rouge toute la journée, et l’enseignante n’a pas perdu une occasion d’expliquer leur moindre erreur par le fait qu’ils étaient grands.

Le lendemain, Annie Leblanc a inversé les rôles, prétextant avoir reçu un appel du patron de la commission scolaire. L’enseignante a raconté aux élèves que son patron, un homme très grand, était mécontent de l’expérience menée en classe et qu’il l’avait convaincue que, finalement, les grands étaient supérieurs aux petits. Ces derniers ont dû, à leur tour, porter le dossard pour la journée.

 L’exercice a fonctionné de façon sidérante. Dès le premier jour, dès les premières heures. En enfilant le dossard rouge, certains se sont sentis amoindris et ils ont vivement éprouvé les injustices dont ils étaient la proie. Plusieurs élèves ont pris goût aux privilèges et à cette impression d’être supérieur.

La plupart des enfants se sont lancés à fond dans l’expérience, comme victime ou comme bourreau, selon qui portait le dossard. Ces deux journées n’ont pas été faciles à vivre, ni pour les élèves ni pour l’enseignante. Des élèves ont pleuré, d’autres ont abaissé leur compagnon de classe sur la base de leur grandeur, d’autres étaient frustrés ou en colère.

 La leçon de discrimination semble avoir porté ses fruits. L’équipe d’Enjeux est retournée voir l’enseignante et ses élèves trois semaines plus tard. Les élèves ont compris qu’on pouvait faire un parallèle entre cette expérience et le traitement réservé à un de leur camarade obèse, Pierre-Luc. Après l’exercice, la vie à l’école s’est améliorée pour lui.


Voir en ligne : Article en entier, suite de l’article et films de la séance de classe