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L’identité, est-elle un mouvement continuel ?

lundi 30 mai 2022, par Andy

Quels sont les critères identitaires utilisés par les Français pour se définir ? Une vaste enquête de L’Institut national des études démographiques (Ined) Les a mis au jour. Au-delà et à contre-courant de ce qui a récemment été érigé en un polémique débat national.


Qui êtes-vous ?

La question est simple et pourtant ne se résume pas à La déclinaison de votre état-civil. C’est ce postulat, porté conjointement par l’Insee et l’Ined qui a donné lieu en 2003 à une enquête sans équivalent sur l’identité des Français et sa construction. Du jamais vu en tous points. D’abord sur la conception de cette étude : intitulée « Histoire de vie », elle a réuni des chercheurs issus de nombreuses disciplines (sociologues, psychologues, géographes, économistes et statisticiens). Ensuite sur l’envergure de l’échantillon analysé : près de 10000 personnes représentatives des résidents de France métropolitaine. « C’est la première fois qu’un questionnaire aussi dense, aussi long, est réalisé sur toutes les facettes de la vie des individus. Auparavant, beaucoup d’enquêtes ont été menées, mais pas de façon quantitative », souligne Sandrine Nicourd, sociologue, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui a apporté sa contribution à l’ouvrage collectif issu de cette étude.

PAS DE NATION, NI D’ÉTERNITÉ POUR L’IDENTITÉ

II aura fallu six mois pour élaborer un questionnaire minutieux, s’appuyant sur l’analyse d’entretiens préalablement menés, et recueillir tout à la fois des indications objectives sur les appartenances sociales, les modes de vie, ainsi que des éléments beaucoup plus subjectifs sur l’histoire personnelle de chacun, pour décrypter Les appartenances choisies, assignées ou subies. Bien que ce travail ait été entamé avant que la polémique sur l’identité nationale n’occupe le devant de la scène, il en prend de fait le contre-pied : « Notre enquête va à [’encontre du débat politique qui voudrait résumer l’identité à la question de la nation, alors que le sujet est beaucoup plus large », expose Florence Maillochon, sociologue chargée de recherche au CNRS, autre contributrice. Preuve en est ces 37% d’immigrés ayant acquis la nationalité française qui ne se réfèrent pas à leur lieu de naissance pour situer leur appartenance géographique. « Alors que l’intégration est sans cesse abordée du point de vue des origines et de l’immigration, elle concerne tout autant l’économique, le social, le politique, l’associatif, le physique, etc. », commente-t-elle.

Comme son nom l’indique, « Histoire de vie » permet de donner une « vision biographique de chacun : l’identité n’est pas assignée, n’est pas quelque chose de figé pour l’éternité comme essaient de le faire croire les tenants du débat sur l’identité nationale », pointe Florence Maillochon. Autre voie explorée par les chercheurs de l’Ined : la définition de chaque identité comme à la fois « ce qu’on est aux yeux des autres mais aussi ce que l’on pense être », détaille-t-elle. L’enquête démontre que la façon dont les individus se définissent eux-mêmes est liée tout autant à leur histoire* qu’à une multiplicité de critères venant soit se renforcer soit se contrer. Ainsi, l’identité individuelle des femmes s’avère moins centrée sur le travail, sauf en cas de conditions valorisantes pour celles détenant un fort capital scolaire, économique et professionnel. Néanmoins, un critère extérieur au monde du travail peut venir perturber cette « règle » d’identification, comme la présence d’enfants, reléguant la position professionnelle au second plan.

NOUVELLES FORMES D’ENGAGEMENT ET PERSISTANTES INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES

Au sein du collectif, Sandrine Nicourd a tout particulièrement travaillé sur les identités politiques, associatives et religieuses. Premier enseignement : les individus s’orientent davantage vers les associations que dans des formes instituées, comme des partis politiques. « Ces derniers sont synonymes d’un engagement plus difficile d’accès car s’y opère une sélection sociale. Deux phénomènes interviennent : l’auto-sélection, en grande partie liée au niveau d’instruction, et le fait que les individus ne trouvent pas leur place dans ces rassemblements », commente la sociologue. Un clivage en termes d’âge se fait également jour : « En dessous de 40 ans, les individus sont moins engagés ou ils le sont mais dans des formes associatives moins instituées, comme les collectifs. Plus on est jeune, moins les formes d’engagements sont institutionnalisées », constate Sandrine Nicourd. Plus inquiétante est « l’inégale répartition des hommes et des femmes au niveau des postes à responsabilité alors que cette différence n’existe pas au niveau du bénévolat où la mixité règne. A l’échelle des bureaux associatifs, la répartition des postes à responsabilité, en faveur des hommes est assez proche du monde du travail ». Des inégalités hommes-femmes qui jouent à d’autres niveaux, notamment dans le couple, étudié par Florence Maillochon. « Pour les hommes, il est difficile d’avoir une vie affective de couple quand ils n’ont pas de situation professionnelle. A l’inverse, cela est beaucoup plus facilement acceptée par les femmes sans profession », note-t-elle. Un « résidu de tradition » qui fait de l’homme au foyer « quelque chose de mal vu en société » et qui s’ajoute à d’autres pesanteurs sociétales. Dernier exemple : « Structurellement, les femmes se mettent en couple avec des hommes de catégorie sociale légèrement supérieure. Conséquence : celles situées tout en haut de l’échelle socioprofessionnelle ont du mal à trouver un conjoint... » Preuve à nouveau « que les contraintes sociales peuvent être vécues de façon individuelle ».

Aurélien Hélias

* Le sentiment d’appartenance à une classe sociale n’est pas uniquement fonction de la catégorie socioprofessionnelle occupée. Il résulte également de la trajectoire sociale antérieure et du milieu social des parents.