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Perception de la désirabilité et de l’utilité sociales de l’homosexualité et de l’hétérosexualité au collège

dimanche 7 janvier 2018, par phil

Dans cette étude, nous avons comparé les stéréotypes de l’homosexualité et de l’hétérosexualité chez des adolescents à partir de la théorie de la valeur sociale de Beauvois (1995 ; Dubois, 2005). Quarante trois collégiens ont été amenés à décrire, à travers une liste de traits, les homosexuels et les hétérosexuels en donnant leur propre jugement et en indiquant la manière dont ils pensaient que la société les percevait. Nous nous attendions à ce que (1) les homosexuels soient perçus par les adolescents comme étant moins désirables mais tout aussi utiles socialement que les hétérosexuels et (2) les participants pensent que, dans la société, les homosexuels sont considérés comme étant moins désirables et moins utiles socialement que les hétérosexuels. Les hypothèses sont partiellement vérifiées notamment chez les participants de sexe féminin. Les résultats sont discutés au regard des différences sexuées dans la perception de l’homosexualité et des conséquences de ces stéréotypes..

L’objectif de cette étude était de comparer la valeur sociale (US et DS) des stéréotypes de l’homosexualité et de l’hétérosexualité chez des adolescent(e)s hétérosexuel(le)s.

Nous nous attendions à ce que les participants, en donnant leur avis personnel, utilisent des traits pour décrire les homosexuels moins désirables que ceux utilisés pour décrire les personnes hétérosexuelles. Cette première partie de l’hypothèse est validée uniquement pour les participants de sexe masculin. Nous avions également posé l’hypothèse que les scores d’utilité sociale attachés aux traits choisis pour décrire les homosexuels et les hétérosexuels ne seraient pas différents. Cette seconde partie d’hypothèse est partiellement vérifiée : seules les participantes manifestent ce pattern de résultats. Les participants, quant à eux, décrivent les hétérosexuels à travers des traits témoignant d’une plus grande utilité sociale que ceux décrivant les homosexuels. En d’autres termes, les adolescents perçoivent les homosexuels comme moins désirables et moins utiles socialement que les hétérosexuels. A l’inverse, les adolescentes ne perçoivent pas les hétérosexuels et les homosexuels différemment sur les dimensions de désirabilité et d’utilité sociales. Par ailleurs, nous nous attendions à une évaluation mixte dans laquelle les homosexuels seraient davantage décrits en termes d’utilité sociale qu’en termes de désirabilité sociale. Les résultats indiquent l’inverse : les participant(e)s attribuent davantage de désirabilité sociale que d’utilité sociale et ce, pour les homosexuels et les hétérosexuels. Les résultats révèlent que les participantes utilisent plus de traits référés à l’utilité sociale pour décrire les catégories que ne le font les participants.

Nous nous attendions à ce que les homosexuels soient, d’après les participants, considérés dans la société comme étant à la fois moins désirables et moins utiles socialement que les hétérosexuels. Cette hypothèse est validée et ce quel que soit le sexe des participants. De plus, selon les participants, la société juge les homosexuels aussi désirables qu’utiles socialement tandis qu’elle juge les hétérosexuels plus désirables qu’utiles.

Il semble donc que les homosexuels tendent à être, tout au moins chez les adolescents, jugés moins utiles socialement que les hétérosexuels. Ce résultat permet de compléter les connaissances sur la perception des homosexuels. En effet, les travaux mettant en évidence le contenu des stéréotypes de l’homosexualité ont souligné l’importance de la désirabilité sociale. Cette étude montre que, tout comme les sous-groupes d’homosexuels, la catégorie homosexuelle est elle aussi jugée différemment sur l’utilité sociale par rapport à la catégorie hétérosexuelle. Les traits utilisés pour décrire les homosexuels révèlent que les adolescents attribuent peu de valeur purement économique aux homosexuels. Par là même, ils peuvent indiquer que, selon eux, les homosexuels sont moins dignes d’occuper des postes à haute responsabilité ou moins susceptibles de l’être. Cette perception est corroborée par un pourcentage de chômeurs plus important chez les homosexuels que chez les hétérosexuels (Laurent & Mihoubi, 2011) et les expériences de discrimination d’employés homosexuels (Croteau, 1996). De la même manière, les homosexuels tendent à percevoir des obstacles à l’avancement dans leur carrière spécifiquement en lien avec leur orientation sexuelle (Parnell, Lease, & Green, 2012). Des recherches futures pourraient adopter une approche longitudinale afin d’étudier la construction et l’évolution des stéréotypes.

Par ailleurs, la représentation que les adolescents ont des préjugés et stéréotypes relatifs à l’homosexualité véhiculés par la société doit être référée au mal-être important observé notamment chez les adolescents ayant une orientation sexuelle non normative (Johnson, & Johnson, 2000) et à l’importance du taux de suicide chez ces adolescents (Beck, Firdion, Legleye & Schiltz, 2010 ; Carneiro & Menezes, 2006 ; Dorais, 2001 ; Verdier & Firdion, 2003).

Enfin, la différence s’exprimant chez les élèves entre les filles et les garçons concernant les stéréotypes de l’homosexualité doit nous interroger. Cela signifie-t-il que les stéréotypes des adolescents sont plus négatifs à la fois sur la dimension DS et US que ceux des adolescentes ? L’homosexualité est-elle plus problématique pour les adolescents ? Ou cela serait-il l’expression d’une plus grande conformité de la part des adolescentes face aux attentes de l’institution ? On peut en effet émettre l’hypothèse que les adolescents, dans une société encore influencée par l’expression de la domination masculine (Borillo, 2001), se sentent davantage menacés par la perspective de l’homosexualité. Ce résultat est à mettre en parallèle avec le fait que les adolescents homosexuels sont plus touchés par le suicide que les adolescentes homosexuelles (Dorais, 2001). Il y a donc sans doute une spécificité liée à la construction de l’identité de genre chez les garçons qui rend plus problématique que chez les filles la question de l’homosexualité. Mais on peut également expliquer ce résultat par le fait que, tout comme pour l’intériorisation des normes scolaires, les filles seraient plus conscientes et plus respectueuses des attentes de l’institution scolaire et de la société face aux questions des discriminations, ce qui pourrait également être une explication au fait qu’elles n’expriment plus leurs stéréotypes négatifs quand on les invite à exprimer leurs représentations personnelles. Ce résultat est dans tous les cas à rapprocher des interrogations actuelles concernant l’égalité filles/ garçons à l’École et la contribution volontaire ou non de cette dernière dans la construction d’identités de genre figées et reproductrices des inégalités entre les hommes et les femmes dans la société. L’École, dans la lutte contre l’homophobie, doit donc également traiter les questions liées au sexisme et à l’égalité entre les sexes. Ces interventions pourraient être réalisées dans le cadre de l’éducation à la sexualité avec nécessité d’évaluer leurs impacts sur les attitudes. En effet, Gürşimşek (2009) a montré que des modules d’éducation à la sexualité avaient un effet sur les attitudes envers la sexualité mais pas sur les attitudes envers les personnes homosexuelles.

Il serait intéressant de compléter cette recherche en introduisant des sous-groupes de la catégorie « homosexuelle » comme par exemple, le sexe de la personne homosexuelle, sa profession, son âge, etc. L’étude du sexe de la personne homosexuelle pourrait pallier une limite de notre étude. Il est possible que garçons et filles, quand ils sont amenés à se prononcer sur la catégorie homosexuelle, ne se réfèrent pas aux mêmes catégories. Ou alors cette différence garçons/filles, en partie, s’explique par le fait que l’homosexualité repose sur une image prototypique, l’image du gay. Ces études complémentaires permettraient de le vérifier et de mieux comprendre ces différences sexuées.


Voir en ligne : L’article de recherche - revue Éducation et socialisation.