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À quoi jouent les petits garçons et les petites filles ? Stéphanie Barbu et Gaïd Le Maner-Idrissi

dimanche 14 août 2011, par Lionel 3

À quoi jouent les petits garçons et les petites filles ? Stéphanie Barbu et Gaïd Le Maner-Idrissi,

D’APRÈS L’OUVRAGE HOMMES. FEMMES. LA CONSTRUCTION DE LA DIFFÉRENCE, EDS DU POMMIER ET CITÉ DES SCIENCES ET DE L’INDUSTRIE

Qui observe de jeunes enfants dans une cour de récréation ou un jardin public constate bien vite que leurs jeux s’organisent au sein de groupes le plus souvent unisexués et autour d’activités différentes selon qu’il s’agit de filles ou de garçons. On peut alors se demander à partir de quel âge et comment se manifestent les
conduites sexuées des enfants, notamment dans le choix des partenaires, du matériel et des activités de jeu. Pourquoi observe—t—on ces différences entre filles et garçons ? Quel est le rôle de l’entourage social ? Et quel est celui de l’enfant dans sa propre construction en tant que fille ou garçon ?

Manifestations des conduites sexuées

De nombreuses observations d’enfants âgés de un à six ans en situation de jeu libre, à la crèche ou à l’école maternelle, ont montré que la préférence pour des partenaires de jeu de même sexe apparaît vers la fin de la deuxième année chez les filles et vers la fin de la troisième année chez les garçons. Cette préférence devient de plus en plus marquée au cours de la période préscolaire, particulièrement chez les garçons à partir de cinq ans. Avec l’âge, les enfants passent de plus en plus de temps en groupes de jeu unisexués.

Si les enfants connaissent et valorisent leur propre sexe, ce qui les amène progressivement à rechercher des partenaires de jeu de même sexe, ces connaissances se trouvent renforcées par leurs expériences sociales avec leurs pairs. Avec un partenaire de même sexe, les interactions sociales sont plus fréquentes, les propositions, les échanges obtiennent plus de réponses et le jeu est plus coopératif. À l’inverse, jouer avec des partenaires du sexe opposé entraîne des relations plus passives, davantage de compromis dans les choix d’objets et plus de conflits.

Les groupes de jeu unisexes s’avèrent donc plus stimulants pour les jeunes enfants, ce qui les conduit à privilégier ce contexte. Un tel niveau de coordination sociale semble notamment être favorisé par une plus grande compatibilité comportementale entre enfants de même sexe, compatibilité qui faciliterait les échanges entre jeunes enfants dont les habiletés sociales sont encore peu élaborées. En effet, dès la fin de la deuxième année, les filles et les garçons manifestent des préférences nettes pour des jouets appropriés à leur sexe et présentent des conduites sociales différentes avec leurs
pairs. Ces tendances s’affirment considérablement au cours de la troisième année. Ainsi, la préférence des enfants pour des enfants de même sexe est largement orientée par la
recherche active de partenaires dont les activités de jeu et les conduites sociales sont similaires aux leurs, ce qui permet l’engagement dans des interactions plus soutenues et attrayantes.

Le développement de la ségrégation sexuelle contribue ainsi à la mise en place de
contextes de socialisation différents pour les filles et les garçons, qui ont un impact important sur la construction de leurs compétences sociales et l’élaboration des rôles sexués. Plus les enfants passent de temps avec des partenaires de même sexe, plus leurs comportements sont différenciés. Ainsi, au cours de la période préscolaire, les filles manifestent entre elles davantage de conduites sociales positives que les garçons ; elles privilégient les interactions à deux et sont plus souvent qu’eux observées dans des activités de jeu associatives et structurées, notamment grâce à l’élaboration de règles et au langage, auquel elles ont plus fréquemment recours. Au contraire, les agressions physiques, qui sont cependant rares, sont plus fréquemment observées entre garçons ; ils sont plus souvent engagés dans des activités de jeu solitaires ou parallèles ; ils privilégient les interactions en larges groupes et sont aussi davantage concernés par la compétition et la dominance.

Si ces différences comportementales ont bel et bien été mises en évidence par de nombreuses recherches chez le jeune enfant, nous sommes dans un domaine où il est particulièrement important d’apporter des nuances. La compétition et la dominance apparaissent aussi dans les groupes de filles, tout comme la coopération se manifeste entre garçons, mais les enjeux et les stratégies déployées sont différents. Par exemple, les garçons manifestent plus d’agressions physiques, tandis que les agressions verbales sont plus fréquentes entre filles. Il faut en outre toujours garder présent à l’esprit le fait
que 1’on considère un comportement moyen dans une population donnée, alors que la
variabilité au sein d’un même sexe est bien souvent plus grande que la variabilité entre les
deux sexes. Il faut également souligner qu’à tout âge les individus adhèrent à des degrés divers aux rôles sexués, c’est-à-dire aux attributs, attitudes et activités qui sont jugés, dans une culture donnée, comme étant appropriés à l’un ou l’autre sexe.

Rôle de l’entourage social

La compréhension de ces différences sexuées précoces est l’un des thèmes qui ont suscité le plus de travaux dans le domaine de la construction de l’identité sexuée. Il ressort de ces recherches que les attentes, les représentations et les attitudes adoptées par l’entourage social, notamment par les adultes parents et non parents, à l’égard des filles et des garçons sont très différenciées. Le simple fait de connaître le
sexe d’un enfant, qu’il soit fille ou garçon, oriente les représentations que les adultes ont de lu.i.
Dès la naissance, la perception et l’interprétation des conduites de l’enfant par les adultes
dépendent du sexe annoncé, plus encore que de son comportement. Les garçons sont considérés a priori comme robustes, forts et bien bâtis, les filles comme fines, délicates et douces, même lorsque ces avis sont prononcés à propos d’un même bébé. Avant la naissance, les représentations que les futurs parents se font de l’enfant à venir varient selon le sexe de ce dernier. Le sexe est également un organisateur puissant des
conduites, en particulier chez les parents dont les comportements révèlent une nette
différenciation, que ce soit dans la mise en place de l’environnement physique, dans le fait de privilégier des interactions avec tel ou tel type d’objets ou encore d’encourager ou de censurer certaines conduites.

En dépit de ’évolution des mentalités, les univers dans lesquels évoluent les garçons et les
filles sont très largement différenciés dès la naissance (jeux, aménagement de la chambre et habillement), avant même que les enfants soient en mesure d’avoir eux-mêmes des préférences.
Les différences observées se rapportent directement aux stéréotypes traditionnels liés au genre. Mais c’est peut-être dans le cadre des relations entre parents et enfants que les
différences d’attitude se font le plus sentir.

Lorsqu’on observe des parents et leur enfant en situation de jeu avec des jouets masculins, féminins et neutres à leur disposition, il ressort que les parents choisissent préférentiellement les jouets correspondant au sexe de l’enfant pour médiatiser leurs interactions. Ils favorisent également les jeux physiques et moteurs chez les garçons, et sollicitent davantage les filles au niveau interactionnel, en passant par exemple plus de temps à susciter chez elles sourires, vocalisations et interactions sociales. Enfin, dans leurs pratiques éducatives, les parents ont tendance à encourager les activités et conduites traditionnellement considérées comme adaptées au sexe de leur enfant, et à décourager, voire à réprimander celles qu’ils jugent inappropriées.
Dans la plupart des études, les parents apparaissent donc comme fortement différenciateurs, en particulier au cours de la deuxième année, même si certains résultats de ces études divergent. Le père se montre souvent plus attaché que la mère au respect des normes culturelles relatives aux rôles sexués, et ce d’autant plus que l’enfant est un garçon. Là encore, ces résultats doivent être nuancés : de nombreuses variables sont à prendre en compte dans le comportement différenciateur des adultes, comme leur adhésion plus ou moins forte aux stéréotypes sexués, et il faut également tenir compte de la pluralité des influences qui s’exercent sur l’enfant dans Environnement familial (présence de frères et sœurs, exposition aux médias...)

Rôle de l’enfant

Si les adultes orientent les conduites des enfants, ils agissent aussi en réponse à des différences comportementales qui se manifestent entre les garçons et les flles dès leur plus jeune âge. Ainsi, si les garçons sont plus souvent portés et manipulés par les parents durant les trois premiers mois, ils pleurent davantage, dorment moins et sont plus irritables et difficiles à consoler que les filles, cet exemple témoignant de différences dans la réactivité et la régulation émotionnelle des enfants des deux sexes. Malgré une grande variabilité interindividuelle, des différences ont pu être également repérées : au niveau de l’activité motrice, les garçons sont plus toniques et ont un développement postural et locomoteur plus rapide ; au niveau des comportements sociaux, les filles manifestent
très tôt un intérêt pour leur entourage social, qui s’exprime d’abord dans leur communication non verbale (regards, sourires, vocalisations), puis dans leur communication verbale, plus précoce que chez les garçons.

Devenir un garçon ou une fille suppose que l’enfant adopte les conduites appropriées à son sexe dans une culture donnée, mais également qu’il soit capable d’acquérir et d’articuler différentes connaissances relatives à la catégorie sexe : différencier et identifier les personnes des deux sexes, se reconnaître en tant que fille ou garçon et connaître les rôles attribués à chaque sexe. La connaissance fine de ces traits et rôles masculins et féminins n’est guère achevée avant la préadolescence, un premier niveau semblant
néanmoins être atteint entre deux et trois ans : à cet âge, les enfants sont capables d’identifier verbalement ou de classer les personnes — eux- mêmes y compris —, ou encore de distinguer les attributs et les activités selon le sexe.

Ces connaissances semblent en outre être plus précoces encore quand des indices non
verbaux sont utilisés pour les repérer : avant un an, les enfants manifestent une attention plus soutenue pour des visages ou des voix de personnes de même sexe qu’eux, ce qui indique qu’ils sont capables de les distinguer. Dès vingt-quatre mois, ils regardent plus longuement des photographies représentant des saynètes qui ne sont pas en adéquation avec les rôles sexués habituels.

Ainsi l’enfant traite-t-il et organise-t-il les informations de son environnement, y compris
concernant la catégorie sexe, qui est particulièrement saillante.

Dans ce domaine, il est donc essentiel de considérer la construction de l’identité sexuée de l’enfant dans une perspective interactive où il est partie prenante de son propre développement.