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Jeune et homo en 2005

dimanche 7 août 2005, par phil

Guillaume "n’arrivait pas à parler", alors, à 17 ans, il a craqué. Guillaume, 22 ans, prépare un bac professionnel. Il souhaite rester anonyme.

"Je suis le deuxième d’une famille de trois enfants qui a vécu d’abord dans une petite ville du Lot-et-Garonne puis à Bordeaux. A 17 ans, j’ai fait deux tentatives de suicide. Déjà, vers l’âge de 8 ans, je subissais des quolibets de la part de mes copains de classe, qui me traitaient de pédé. Les profs étaient indifférents. On ne considère pas l’insulte homophobe de la même manière que l’insulte raciste. J’étais un enfant dit modèle, premier de la classe mais assez réservé. Les élèves ont dû me sentir comme une agression. Je suis devenu leur bouc émissaire. Au collège, ça a empiré : en plus des insultes, il y avait les coups. C’était même un rituel : chaque matin, certains me tapaient violemment l’épaule. Entre midi et deux, une quinzaine m’encerclaient et me traitaient de tout, en me donnant des coups. Ça résonnait de toutes parts en moi quand on me disait : "T’existe pas" , "t’es une merde" , "un monstre" , "on va te buter, pédé" . Tout le monde le voyait sans réagir. Mes parents ? A 17 ans, en première, je suis passé de très doué à dernier de la classe, je faisais des fugues. Ils n’ont pas compris ce qui m’arrivait. Ils m’ont toujours soutenu mais je leur en veux un peu de ne pas être allés au-devant de mes problèmes. Moi, je ne pouvais rien dire. Je me bloquais pour ne pas souffrir tout en étant prisonnier de moi-même. Je n’existais ni pour moi ni pour les autres et je mentais à tout le monde car je voulais me protéger. Je me dégoûtais aussi, en pleine négation de ma personne, et ce sentiment me rongeait. Il n’y avait pas une journée sans que j’y pense. Dans ces cas-là, on ne peut parler à personne.

UN LONG CHEMINEMENT

On dit que, de nos jours, c’est facile d’exprimer son homosexualité ou de trouver des soutiens via des associations ou des téléphones anonymes. Mais à la campagne, sans téléphone portable, vous ne pouvez pas utiliser le téléphone familial à cause des factures détaillées ni Internet à cause de l’historique laissé sur l’ordinateur. Aller acheter des magazines spécialisés est au-dessus de vos forces. Quand on est jeune, on est isolé et on ne sait pas vers qui se tourner. Comme je n’arrivais pas à parler, on disait que j’étais dépressif. Quand j’ai fait mes tentatives de suicide, à trois semaines d’intervalle, les médecins m’ont dit que j’avais un trouble important du comportement : de la schizophrénie. A ce moment, je me suis dit que non seulement j’étais homo mais en plus malade. On ne se suicide pas sur un coup de tête : c’est un long cheminement où il faut se couper de tout amour. Je ne pouvais pas vivre l’amour auquel tout le monde aspire. Pour la première tentative, j’avais refusé d’aller au lycée et j’ai avalé 80 cachets d’Efferalgan. C’est ma mère qui m’a découvert. A l’hôpital psychiatrique, le médecin m’a bien demandé si j’aimais les garçons mais il y avait quatre autres personnes autour de moi, dont une infirmière qui notait tout. Comment pouvez-vous être en confiance quand depuis près de dix ans vous gardez tout en vous ? Je n’ai rien dit. J’ai appris à bien connaître le personnel psychiatrique car j’ai été interné quatre mois dans une unité pour malades difficiles (UMD), avant de passer en hôpital psychiatrique de jour puis, jusqu’à présent, dans un centre de réadaptation psychosocial pour jeunes, une structure intermédiaire entre l’hôpital et le foyer. Ce milieu m’a plus détruit qu’autre chose. Je me demande toujours si le personnel est homophobe, mal formé à cette problématique ou simplement incapable de l’entendre et de la gérer. Je me souviens d’une scène à l’UMD : le psychiatre était entré dans ma chambre avec six ou sept autres médecins. En me tournant le dos, il a demandé à voix haute ce que signifiait "pédé comme un phoque" . Après avoir donné l’explication, ils sont partis en riant.

Nous vivons dans une société de peurs de tous ordres. Rien n’a changé pour les jeunes homos. Il y a une tolérance hypocrite : les gens disent accepter l’homosexualité pour éviter d’en parler et d’affronter vraiment le problème.

CASSURE IRRÉMÉDIABLE

Je me demande où j’ai puisé l’énergie pour résister, car je me dis toujours que j’aurais dû mourir. Je garderai cette cassure irrémédiable. Malgré tout, les rencontres, même rares, de personnes sans a priori m’ont aidé à m’en sortir. Maintenant, j’essaie de vivre, de me reconstruire tant bien que mal : je viens d’emménager dans un appartement, d’adhérer à une association d’écoute homosexuelle, je me projette professionnellement. Mais jamais je ne révélerai mon homosexualité à mes collègues de travail, qui tomberaient de haut s’ils l’apprenaient. Je n’ai plus l’énergie de me justifier et je veux éviter des ennuis inutiles.

L’hétérosexualité est le dernier rempart solide sur lequel les gens se sont construits. Alors, quand on leur parle d’homosexualité, on fait vaciller cette certitude. Je suis persuadé que le sujet touche plein de jeunes, mais peu restent en vie pour en parler."

Propos recueillis par Claudia Courtois Extraits de l’article paru dans l’édition du Monde du 10.09.05