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ARCHIVE - SOUVENIR : Enseignants gay : les risques du métier

dimanche 7 août 2022, par phil

En 1995, le journal gay gratuit Illico ouvrait le dossier des enseignants gays. Enseignants gay : les risques du métier. Quelques extraits.

C’est bien connu, les homosexuels sont pédérastes et prosélytes. Si vous en doutez, installez un téléspectateur de TF1 devant le 20 H de Claire Chazal un soir de Gay Pride et dites lui que le grand brun en débardeur blanc et short en bas de l’écran à droite, et bien c’est Monsieur Martin, le prof de maths du petit dernier. Maintenant observez. Il y a fort à parier que la réaction de ce brave père de famille ne s’attardera pas du côté de l’intelligence mais rejoindra bien vite celui de la peur, une peur conditionnée et non réfléchie qui irait même jusqu’à fricoter un instant avec l’instinct de survie. "Mais qu’est-ce qu’il a fait à mon fils ?" s’affole-t-il. Plein de choses, à commencer par lui apprendre l’algèbre et à résoudre des équations.

Le problème majeur de l’enseignant(e) homosexuel(le) est d’avoir à surmonter l’insurmontable. D’aller au-delà des peurs indéracinables et de dépasser les clichés les plus désuets. Question pourquoi le petit dernier aurait-il plus à craindre de Monsieur Martin, homosexuel dans une autre vie, sa vie affective, que sa grande soeur de Monsieur Benoit, marié et père d’un enfant pour l’Etat civil ? Réponse parce que le père de famille a lu il y a quelques années à la une des journaux cette histoire de prof pédophile. Il a juste oublié entre temps que la victime était une petite fille et que son agresseur était hétérosexuel, comme c’est le cas dans la grande majorité des faits divers de cette sorte.

Face à cette peur indestructible engendrée par les certitudes et la bonne moralité, les profs et instits gay se préparent eux-mêmes d’emblée à ce que leur vie privée sexuelle et affective à ses élèves, parfois aussi à l’administration, et dans un même temps de considérer l’élève seulement comme un élève, un auditeur, un cerveau auquel vous devez transmettre des connaissances et non comme un corps en pleine mutation, un idéal sexuel ou un objet de fantasme.

Pour Yvon, prof de maths dans un lycée technique privé de Bretagne, la couverture est facile. Il a 29 ans avec une petite année d’expérience professionnelle derrière lui. Il est suffisamment jeune pour que ses collègues ne se posent pas encore trop de questions sur son Etat civil et suffisamment amoureux pour ne pas fondre devant ses élèves qui sont de toute façon beaucoup trop jeunes pour lui. "Et puis, ça m’amuse de les voir se chamailler, se tripoter, se faire des papouilles et de se mettre des mains aux fesses". Car le lycéen est allumeur, voire bandant. "Il faut les voir arriver", note Christian, 35 ans, qui enseigne à des jeunes de banlieue parisienne de plus de 16 ans sortis du milieu éducatif traditionnel et en difficulté d’insertion. "Il faut montrer que l’autorité est de ton côté. Eux, ils exhibent beaucoup leur corps qui à cet âge est très sexué. Ils se touchent, se tripotent devant toi, se mettent les mains dans le pantalon en t’écoutant parler. Ils se tâtent le bout des seins". "A cet âge-là, relève René, 46 ans, prof de lettres et d’histoire dans un lycée technique privé de banlieue parisienne, ils ont besoin d’estimer leur corps et leur pouvoir de séduction. "Mais tu imagines pour eux quel est le panard de faire craquer le prof ?" A l’inverse, craquer pour l’élève est le tabou que tous refusent de faire tomber, à la fois pour soi intellectuellement et pour le risque que cela représente professionnellement, mais c’est selon René, "ce qui pend au nez de tout prof gay". (...)

La meilleure parade que n’ait trouvée Joël, instituteur breton de ans, pour que cela ne se produise pas, est justement d’être devenu instit et non prof, soit le meilleur moyen pour ne pas avoir à se retrouver en face de gamin pubères et très sexuels. Un autre bouclier est de ne rien laisser paraître, de ne brandir aucun pancarte et de jouer avec le rumeurs Si elles vous arrangent. A 33 ans, Lucas est prof d’histoire dans un collège de banlieue nord parisienne dite difficile. En fait de difficulté, le collège accueille de gamins issus d’une zone très défavorisée où tous sont d’origine étrangère, rejetés et oubliés de l’autre côté du périphérique Résultat, les élèves ont parfois des doutes et Lucas ne dément pas les rumeurs qui le lient à un jeune prof célibataire du collège "Je crois que les élèves sentent tout, dit-il. Mais je ne crois pas être identifié en tant que pédé. Il ne faut pas perdre de vue que le : élèves ne sont pas des adultes. La réaction d’un adulte peut-être violente, agressive, compréhensive, neutre par rapport à l’homo-sexualité. La réaction d’un élève renvoie à des peurs. Et cette violence-là n’est pas contrôlée. Les élèves rejettent l’homosexualité, c’est quelque chose qui les menace". "Il y a, poursuit-il, des choses que je ne peux pas dire, même à des 5e. Par exemple, à l’occasion de l’étude de l’Afrique, j’ai eu des réactions très violentes et très négatives lorsque j’ai dit, en parlant des populations, que la propagation de l’épidémie de SIDA n’était pas due aux pédés. C’est une chose qu’ils n’acceptent pas.(...) Alors, je n’entends pas ce qu’ils disent quand c’est homophobe. je ne veux pas entendre". Pourtant en salle des profs, Lucas s’amuse avec son homosexualité. Histoire d’en rire.

(...)

Peut-être aussi de se rassurer à l’inter-cours. Et puis, ça lui permet de faire tout de suite un choix entre les "bons et les mauvais profs". René non plus ne le cache pas. Il faut dire que c’est plutôt difficile lorsque l’on est militant très actif dans une association de lutte contre le SIDA, que l’on partage son temps entre le lycée et l’association et que l’on est déjà passé à la télé à ce titre. Yvon lui, encore marqué par le syndrôme "débutant", préfère attendre quelques années avant de faire son coming-out, conscient que ça participera à l’isoler du groupe des autres profs. Mais est-ce vraiment si grave ? Au fond, les profs et les instits gay s’accomodent plutôt bien de leur particularité, qui ne constitue pas en soi un lourd désavantage -dans le pire des cas, ils se mettent à dos les réacs- sauf bien sûr en cas de prosélytisme ou de drague sévère auprès des élèves. Des exceptions confirment évidemment la règle. Ainsi P.C., 43 ans, militant homosexuel et directeur du festival cinématographique "Ouestion de genre" a subi les attaques de l’administration du lycée du Nord dans lequel il enseignait, après que le homosexuel dans son équipe. Suite logique, celui-ci a subi la visite de l’inspecteur d’académie, une promotion qu’il avait demandée lui a été refusée et la lettre anonyme adressée au proviseur a été glissée à l’intérieur de son dossier. Quelques semaines plus tard, le rectorat lui a fait savoir qu’il était préférable qu’il quitte l’enseignement intégrer une équipe de chercheurs, ce qu’il a fait. (...) Autre cas de figure, autre contexte, celui de Joël, instituteur dans une école primaire privée de Bretagne qui s’est fait muté en même temps qu’une instit lesbienne pour cause d’homosexualité. L’histoire est encore plus scabreuse. Joël a été "outé par une collègue après qu’elle l’a vu faire ses courses dans un hyper en compagnie d’une folle. Ces révélations ont été confirmées par la suite au directeur de l’école par le Président de l’association des parents d’élève qui l’a vu entrer ou sortir plusieurs fois d’un lieu de drague. Convoqué par le directeur, Joël s’est entendu dire par ce dernier ne pourrait pas le couvrir en cas de problème -pourquoi aurait-il eu un . ?- et qu’il a peur que les parents ne l’apprennent. Joël a été viré de son école puis en a intégré. une autre le jour où une de ses voisines de palier appelait son nouveau directeur pour lui dire que celui­ci recevait souvent des "adolescents seuls". J’ai l’impression, conclut-il, qu’on me reproche de bien vivre mon homosexualité et de ne pas chercher à la dissimuler. Je crois qu’ils voudraient que j’en ai honte (...) On dit que les enfants sont vulnérables et qu’il faut les protéger. Aux yeux des gens, on représente un danger de contamination. Alors que c’est justement pour cette raison que j’ai choisi d’enseigner en école primaire, pour qu’il n’y ait pas de problème, ni d’ambiguïté". Et pourtant, ils aiment leur métier. En plus, il parait que les "homosexuels sont "beaucoup plus nombreux que ce que l’on voudrait bien croire dans l’enseignement". (...) "On est tellement nombreux dans l’Education nationale disent-ils d’une seule voix, qu’on devrait se regrouper pour monter un super-syndicat et faire avancer les choses". Chiche. Fabien Biasutti.

Source : journal Illico, 1995

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